De prime abord, les mutuelles ne servent à rien en France. A l’échelle de l’ensemble des Français, elles ne font que déplacer de l’argent, en prélevant 8 milliards €/an en frais de gestion, et taxes pour l’Etat).
Comme les gros risques, à savoir les dépenses potentiellement très élevées comme l’hospitalisation, sont assumées par la Sécu, les autres risques sont parfaitement gérables, sur plusieurs années s’il le faut, par le budget de chaque ménage en France, en tout cas pour la majorité des ménages - sauf les plus modestes éventuellement, ceux qui vivent au jour le jour sans épargne de précaution et qui ne peuvent pas se permettre de voir leur budget déraper de 200 ou 1000€.
La preuve: personne ou presque dans la France contemporaine n’a jamais été ruiné parce qu’il n’avait pas de mutuelle, alors qu’il y a eu des familles ruinées parce que le chef de famille n’avait pas d’assurance décès ou invalidité, ou d’assurance auto ou multirisque habitation
Point aggravant: si un risque médical pris en charge par les mutuelles voit son coût exploser, les mutuelles modifient leurs conditions générales pour l’exclure pour le futur ou le plafonner ou font du lobbying pour que ce soit la Sécu qui le prenne en charge.
Et pourtant, il y a des cas où il est évident que certaines familles ont intérêt à avoir une mutuelle, haut de gamme parce qu’elle savent à l’avance que année après année, leurs frais médicaux vont excéder leurs cotisations. Ces situations sont minoritaires mais loin d’être négligeables.
Et elles peuvent exister à cause de la réglementation française. En son absence, une mutuelle qui verrait 2 années de suite que les paiements à une famille excède les cotisations va résilier le contrat. Sauf qu’en France, c’est rarement possible dans ce cas. De plus, les mutuelles (qu’elles soient juridiquement une compagnie d’assurance, une institution de prévoyance, ou une mutuelle au sens strict) n’ont pas toujours la possibilité de moduler les cotisations en fonction de l’état de santé ni même de l’âge ou du nombre des membres de la famille assurée.
Prenons un cas réel que je connais bien, les chiffres étant arrondis: un dirigeant de TPE, dont la branche professionnelle a conclu un accord collectif avec une mutuelle. Sa TPE a un seul salarié, son conjoint. La TPE adhère à ce contrat collectif et choisit la variante haut de gamme, qui couvre donc le salarié et ses 4 enfants et prend un volet optionnel pour couvrir le conjoint, qui se trouve être le dirigeant lui-même.
Cotisation: 140€/mois (indépendante du nombre d’enfants ou de l’âge des parents), payée à 100% par l’entreprise donc déductible de l’IS.
Prestations:
- beaucoup de frais de santé pour les deux parents, quinquagénaires, un peu hypocondriaques et de santé devenue assez fragile
- 2 paires de lunettes à verres progressifs pour les 2 parents tous les deux ans, coûtant chacune 530€/an à la mutuelle. Coût pour la mutuelle: 530€/an. Avant, c’était même plus élevé, car chaque monture était remboursée 200€. Maintenant c’est seulement 100€.
- 4 lunettes pour les 4 enfants par an, remboursées 250€ x 4 = 1000€/an
- des frais d’orthodontie pour 3 des 4 enfants, facturés par l’orthodontiste 1000€/semestre/enfant remboursés 700€/semestre/enfant par la mutuelle (la Sécu rembourse environ 200€/semestre/enfant). Bon, c’est plafonné à 6 semestres de prise en charge pour chaque enfant, mais cela reste des coûts très élevés pour la mutuelle
- même un des deux parents a un traitement d’orthodontie adulte plutôt de confort, non remboursé par la Sécu, mais remboursé 700€/semestre pour 6 semestres pris en charge
- des frais de psychologue, jusqu’à 6 séances/an/enfant ou adulte, remboursées 50€/séance. Or 5 des 6 membres de la famille vont en ce moment consulter chez des psychologues
- coût plus élevé encore, du dentaire couronne et implant, etc.
Je ne parle pas des frais de maternité haut de gamme il y a 10 ans ni d’hospitalisation imprévue plusieurs années dont 2020. Après tout, au moins pour l’hospitalisation, ce n’était pas prévisible à l’avance.
Mais je n’évoque ici que les frais prévisibles dès le début, qui font que cette famille aurait eu tort de ne pas prendre cette mutuelle. Année après année depuis 2010, elle coûte à la mutuelle infiniment plus qu’elle lui rapporte en cotisations. Et c’était prévisible dès le départ: cotisations indépendante de l’âge plutôt élevé des parents et du fait qu’il y a 4 enfants et beaucoup de consommation de dentaire (implants, couronnes), orthodontie systématique, optique. De plus, comme déjà dit, sont venus s’ajouter des consultations médicales assez nombreuses et des hospitalisations une fois tous les 2 ou 3 ans.
Que faut-il en conclure si j’étais le gouvernement? Je ne sais pas.
Que faut-il en conclure si j’étais cette famille, qui ne fait rien d’illégal mais simplement consomme beaucoup de médical? C’est une situation un peu agaçante, mais cette famille aurait tort de s’en priver.
A noter que ses prestations vont se réduire beaucoup dans deux-trois ans (fin de plusieurs traitements orthodontiques, opérations de myopie au frais de la mutuelle qui va supprimer des lunettes, deux des enfants qui ne seront plus à charge donc pas couverts, etc.). Mais j’imagine que la famille va alors modifier le contrat haut de gamme entre la TPE et la mutuelle, pour le faire passer en version bas de gamme et baisser sa cotisation! Pour maximiser toujours son intérêt, dans le respect des lois.