#26 13/10/2018 16h15
- Scipion8
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@BulleBier : Je vous rejoins sur l’importance de suivre les données macroéconomiques, pour avoir une idée d’où on est sur le cycle économique, qui a inévitablement un gros impact sur les banques. C’est bien sûr ce que je fais aussi, mais il y a quand même quelques difficultés :
a) Les données macroéconomiques sont souvent un signal retardé : soit en raison des retards de publication (par exemple pour le PIB), soit parce que l’économie elle-même réagit avec retard au retournement du cycle. Par exemple une entreprise ne va pas immédiatement licencier du personnel en cas de baisse de la demande : elle va commencer par réduire son personnel en intérim, puis en CDD, puis imposer du chômage technique, puis enfin licencier des employés ; le taux de chômage est donc un signal retardé, comme la plupart des données macroéconomiques "dures". Il faut donc les compléter par des données "soft" avancées, comme des enquêtes sur les anticipations des entreprises (indices PMI, par exemple) - mais parfois elles peuvent donner des signaux divergents.
b) Les données macroéconomiques ne donnent pas d’indication sur l’hétérogénéité des niveaux de résilience des banques d’un même système bancaire. Le travail d’un banquier, c’est précisément de gérer le cycle économique, de prendre des risques mesurés pendant la phase d’expansion en sachant que le retournement finira par arriver, et de maintenir à chaque instant du cycle la solvabilité et la liquidité de sa banque : un banquier court-termiste est un mauvais banquier. C’est cette capacité, différente d’une banque à une autre, qu’on peut essayer d’analyser en regardant les ratios de solvabilité (= protection contre des pertes sur les actifs) et de liquidité (= protection contre un retrait des sources de financement), ainsi que les niveaux de créances douteuses - en les comparant au cours du temps et entre banques.
C’est pourquoi je pense utile de compléter l’analyse macroéconomique par une analyse microéconomique, notamment les résultats des banques.
Une banque correctement gérée et correctement supervisée doit pouvoir survivre à un choc même important (une récession sérieuse). C’est l’objet des stress tests européens, qui sont un exercice utile, même s’ils ne sont certainement par infaillibles. Le "scénario adverse" du stress test 2018 est plus exigeant que celui des stress tests précédents : le scénario est une déviation cumulée du GDP de l’UE de 8 points % de GDP par rapport à la prévision moyenne, sur 3 ans (donc un scénario presque aussi sévère que celui que vous mentionnez).
Quant aux CDS, ils ne sont certainement pas parfaits, et comme le reste des marchés ils peuvent parfois refléter une sous- ou une sur-appréciation importante des risques. Mais je les considère comme généralement plus rapides et plus efficients pour refléter les nouvelles informations sur les risques, ce qui peut s’expliquer par leur sociologie particulière (des professionnels de la gestion des risques). Les agences de notation sont souvent très en retard par rapport aux CDS.
@Durun : Pour mesurer le niveau de "dépendance" d’une banque, ou d’un système bancaire, à la liquidité de la banque centrale, 2 sources sont utiles :
a) Le bilan de la banque centrale est généralement publié mensuellement (ou hebdomadairement) par les banques centrales. Il n’est pas d’interprétation facile pour un non-initié (même pour des banquiers), et le niveau de transparence varie beaucoup d’une banque centrale à l’autre.
On peut trouver la situation mensuelle de la Banque de France sur son site statistique Webstat. On ne peut pas dire que la présentation soit très pédagogique et user-friendly, mais l’information clef est là :
- Bilan BdF, Actif, Crédits aux IFM résidentes (encours) = 154 milliards € (IFM = institutions financières et monétaires = les banques) : il s’agit essentiellement des opérations de politique monétaire (et éventuellement d’autres opérations de nature différente, je ne détaille pas).
- Bilan BdF, Passif, Dépôts des IFM résidentes (encours) = 502 milliards € = il s’agit des liquidités excédentaires des banques placées auprès de la BdF, au titre (i) des réserves obligatoires, (ii) de la facilité journalière de dépôt, et (iii) des réserves excédentaires.
Donc en gros le système bancaire français a un confortable excédent net de liquidité de 502-154 = 348 milliards € vis-à-vis de la banque centrale. Evidemment, cet excès de liquidité s’explique largement par le QE.
b) Le bilan de la banque montre parfois sa position vis-à-vis de la banque.
Par exemple, le bilan de BNP Paribas au 30 juin 2018 donne :
- A l’actif : caisse, banques centrales = 211 milliards € (+33 milliards € au 1er semestre) : il s’agit du cash et des liquidités placées auprès des banques centrales (pas uniquement la BdF, mais aussi les banques centrales d’autres pays où BNP est active, notamment la Fed)
- Au passif : banques centrales = 6 milliards € (+5 milliards € au 1er semestre) : il s’agit du refinancement banque centrale.
Donc BNP Paribas a une position de liquidité largement excédentaires par rapport aux banques centrales. Pas de souci a priori de ce côté.
Cependant sa vraie vulnérabilité potentielle n’apparaît pas dans les chiffres : au moment de la faillite de Lehman Brothers, les grandes banques françaises ont conservé une liquidité € satisfaisante, mais ont connu une situation très tendue en liquidité $, car le marché des swaps FX ne fonctionnait plus et il devenait politiquement compliqué pour la Fed de fournir de la liquidité $ illimitée aux banques européennes. C’est le swap de change €/$ de taille illimitée entre la Fed et la BCE qui a permis d’éviter des faillites en série en Europe. La liquidité doit s’apprécier par devises, ce que ne permettent pas les données publiées.
@Kiwijuice : Oui, une analyse concurrentielle apporte beaucoup. Par exemple pour le corporate banking, il faut suivre régulièrement les league tables dans les différents métiers.
S’agissant des loan losses en bas de cycle, je suis bien d’accord, c’est un des meilleurs indicateurs d’une gestion prudente.
S’agissant du RoA, je ne les utilise pas vraiment parce qu’ils introduisent des biais (i) entre activités de détail (avantagées) et activités de marché (qui peuvent bien gonfler la taille du bilan), et (ii) entre banques européennes et banques US (règles de netting différentes).
Cela dit, je regarde le RoE et le ratio de levier - l’aggrégation des 2 se rapproche du RoA.
Et oui, Svenska Handelsbanken m’intéresse. Mais quand j’ai regardé les banques suédoises il y a quelques mois, j’ai préféré acheter Nordea et Skandinaviska Enskilda Banken, moins mal-aimées par le marché. Donc je vais plutôt renforcer celles-là. En tout cas, j’apprécie les banques suédoises et j’ai une grande estime pour le travail de la Riksbank, une excellente banque centrale qui a développé son propre modèle de politique monétaire (très transparent) et où je connais de bons collègues.
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