Je partage en partie les critiques contre le management d’Unibail (clairement, de grosses erreurs stratégiques ont été faites, notamment l’achat de Westfield), mais je trouve l’augmentation de capital envisagée légitime dans le contexte actuel.
Plusieurs points :
1) La situation de liquidité d’Unibail n’est pas critique, mais pas non plus très confortable. Fin juin, Unibail avait 3,4 milliards € de cash et 9,3 milliards € en lignes de crédit bancaire non utilisées (des lignes non collatéralisées). Mais (a) au cours du 1er semestre, Unibail avait dû tirer sur ces lignes à hauteur de 3,2 milliards € (avant de tout repayer avant fin juin), et (b) comme actionnaire, je préfère que l’entreprise ne se retrouve pas un jour obligée de tirer massivement sur ces lignes et ainsi, à la merci des banques. Officiellement, l’augmentation de capital n’a pas pour objectif d’améliorer la situation de liquidité, mais à mes yeux, ça ne fait pas de mal car ça réduit le risque d’une dépendance aux financements bancaires, dans un contexte de pandémie prolongée.
2) On ne conduit pas une entreprise en faisant du "juste à temps". A mes yeux d’actionnaire, il serait irresponsable d’attendre que le rating soit à BBB- (le dernier échelon de la catégorie investment grade) ou que le LTV soit à 55% pour faire une augmentation de capital - dans des conditions encore plus dilutives qu’aujourd’hui. Manifestement, Unibail a parlé avec les agences de notation, et cela a beaucoup pesé dans la décision de lever du capital.
Avec des ratings actuels de A- (outlook négatif) / Baa1 (outlook stable), la "marge de sécurité" avant de tomber en junk est de 4 et 3 niveaux respectivement. C’est encore presque confortable, mais on connaît le comportement procyclique des agences de notation : si la pandémie devait se prolonger / s’aggraver, les downgrades pourraient aller très vite - a fortiori dans un contexte où bcp d’autres foncières commerciales se font défoncer.
Dire que Moody’s a downgradé Unibail en réponse à ce plan est par ailleurs injuste : l’outlook était négatif, il est passé à stable après ce downgrade, qui intègre la conjoncture difficile et l’annonce du plan.
3) On ne change pas du jour au lendemain de base d’investisseurs obligataires. Unibail se finance majoritairement par des obligations non collatéralisées, notamment des Euro Medium Term Notes, a priori essentiellement placées chez des investisseurs institutionnels avec une forte contrainte de rating (IG et pas de junk). Manifestement, les discussions d’Unibail avec ces investisseurs ont aussi conduit à l’annonce du plan. Il est illusoire de penser qu’une entreprise comme Unibail pourrait du jour au lendemain complètement changer de base d’investisseurs, pour de tels montants, a fortiori dans un contexte pandémique où les foncières commerciales ne sont pas exactement à la mode. Quel gestionnaire de fonds institutionnel oserait proposer à son management de commencer à acheter des obligations non sécurisées d’une foncière commerciale avec un risque de downgrade à junk ? C’est juste irréaliste. Unibail doit travailler avec sa base existante d’investisseurs obligataires - qui lui ont manifestement demandé de sécuriser son bilan.
4) Un bilan solide est absolument essentiel au succès des ventes d’actifs. C’est un point crucial : quand une entreprise doit vendre des actifs tout en ayant un pistolet sur la tête, le rapport de forces avec les acheteurs potentiels n’est pas du tout le même… et le prix de vente non plus ! Notre intérêt comme actionnaires est que ces ventes d’actifs se fassent dans des conditions satisfaisantes, en prenant le temps de trouver les bons acheteurs, au bon prix - et non pas d’avoir des fire sales affaiblissant encore un peu plus la solvabilité de l’entreprise. Ce risque d’exécution pour les ventes d’actifs existe aussi en cas de downgrades ou de hausse importante du LTV vers la limite des 60% : les acheteurs potentiels ne sont pas des idiots, ils savent que dans cette situation Unibail serait forcée de vendre le plus vite possible…
5) Si on est passionné de dividendes, il vaut mieux ne pas investir dans Unibail aujourd’hui, à mon avis. A mon sens, les discussions sur le niveau (très, très, très incertain) du dividende ces prochaines années sont à côté de la plaque. Je crois relire les mêmes discussions sur les dividendes de CBL ou d’Intu… Ce qui se joue, c’est la survie de l’entreprise, et c’est ce qui devrait orienter la réflexion et les votes des actionnaires.
Perso, je soutiendrai sans doute l’augmentation de capital, a priori sans y participer et sans pour autant donner mon blanc-seing à un management qui a largement failli à mes yeux.
Dernière modification par Scipion8 (18/09/2020 00h39)