@Trahcoh : Je suis amateur de stratégie militaire et j’en utilise un concept pour organiser la "défense" de mon portefeuille face à des chocs majeurs comme celui de février-mars 2020 : la défense en profondeur, dont le meilleur exemple est sans doute la bataille de Kursk (été 1943).
J’organise ainsi la défense de mon portefeuille selon plusieurs lignes défensives, qui sont activées ou non selon l’ampleur de l’attaque :
1ère ligne de défense : mon investissement mensuel régulier : c’est évident pour beaucoup ici, mais en cas de choc, je continue mon investissement mensuel, de façon diversifiée mais avec une surpondération nette des valeurs que je trouve les plus solides, et que j’achète ainsi à bon prix. Le choc de février-mars m’a ainsi donné l’occasion de construire de grosses lignes Microsoft et Mastercard, par exemple.
2e ligne de défense : la marge (utilisée de façon contracyclique) : c’est un outil puissant, puisque l’on peut ainsi acheter des titres à bon prix lors d’un choc sans apporter de fonds. Évidemment, c’est un outil d’autant plus puissant que le portefeuille est significatif, puisque la marge disponible est déterminée par la valorisation et le risque des titres déjà en portefeuille, utilisés en garantie par le broker. Je pense par ailleurs qu’une grande diversification du portefeuille permet de réduire le risque perçu par le broker, donc potentiellement d’augmenter la marge disponible.
De mémoire :
- Début février, avant le krach, j’avais un levier de 1,2 sur mon portefeuille IB (valorisé 350k€) et une utilisation de la marge d’environ 50k€. J’avais alors un "pouvoir d’achat" sur IB d’environ 750k€.
- Avec le krach, ce pouvoir d’achat sur IB a chuté rapidement du fait de 3 effets conjugués : (i) la baisse de valeur des titres, (ii) la hausse du risque perçu par IB, et (iii) mon utilisation (contracyclique) de la marge.
- J’ai utilisé la marge par paliers, avec des seuils de déclenchement que j’ai déterminés à partir du niveau du S&P500 avant le krach : -5%, -10%, -15%, -20%, -25%, -30% etc. J’ai rigoureusement respecté ces seuils, avec un budget d’intervention qui augmentait à chaque palier (10k€, 15k€, 20k€). J’ai ainsi accompagné les marchés dans leur phase baissière, ce qui a accru temporairement mes pertes (jusqu’à -350k€ sur le portefeuille total) et le risque du portefeuille - mais de façon calculée. Pendant cette phase de baisse, mon portefeuille a effectivement baissé plus rapidement que les indices, comme on peut le voir sur le graphique de performance dans mon précédent message.
- Au total j’ai investi un peu plus de 100k€ via la marge IB pendant la phase baissière de février-mars, en plus de mon investissement mensuel régulier (environ 15k€ / mois).
- Au point bas du marché (23 mars), mon levier sur IB dépassait 1,6, mon portefeuille ne pesait plus que 200k€ et mon pouvoir d’achat sur IB n’était plus que de 200k€ (soit une baisse de plus de 500k€ depuis le début du krach !). J’étais prêt à continuer d’intervenir jusqu’à un levier de 2.
- Tous ces investissements pendant la jambe baissière du V sont devenus gagnants l’un après l’autre pendant la longue remontée (j’avais le sentiment de retrouver mes "petits cailloux" semés pendant la baisse).
- Désormais, mon utilisation de la marge sur IB est de 183k€, soit un levier de 1,4 pour une taille nette de portefeuille de 450k€ et un pouvoir d’achat sur IB de 925k€.
- Afin de préparer mon portefeuille au risque d’une nouvelle grosse correction, je souhaiterais abaisser ce levier IB à 1,3, ce qui sera possible via la reprise prochaine de mon investissement régulier mensuel (même en l’investissant à 100%, cela fait baisser mathématiquement le levier).
3e ligne de défense : le transfert de titres ou de cash de mes autres portefeuilles non leveragés vers IB : Si les marchés avaient continué à baisser significativement, jusqu’à faire monter mon levier IB au-delà de la cible maximale que je m’étais fixé (2), j’aurais pu envisager le transfert de titres ou de cash (après liquidation de titres) de mes portefeuilles français et européen (non leveragés) vers IB. Cela m’aurait néanmoins ennuyé, autant pour des raisons pratiques (préférence pour garder mes titres français chez un courtier français) que fiscales (matérialisation de plus-values en cas de liquidation). Heureusement je n’ai pas eu besoin d’activer ce mécanisme de défense.
4e ligne de défense : l’injection de cash via le rachat de fonds € : Actuellement, mes fonds € (environ 350k€) couvrent presque 2 fois le montant de mon utilisation de la marge sur IB. En cas d’urgence (un levier devenant excessif sur mon portefeuille IB, voire un risque d’appel de marge), je peux donc prélever sur ces fonds € les montants nécessaires pour faire baisser le levier, voire le ramener à 1. Là encore, cela m’aurait embêté, car j’aime dissocier mes fonds € de ma gestion boursière, leur destination étant plutôt le financement de projets de vie, ou la mobilisation en urgence en cas d’accidents de vie (positifs ou négatifs). Mais en cas d’extrême urgence j’étais prêt à activer ce mécanisme.
5 conclusions que je tire de cette expérience :
1) Entamer un krach avec un levier supérieur à 1,2-1,3 est très périlleux, surtout si les divers mécanismes de défense (gros flux mensuels d’épargne, existence de portefeuilles non leveragés, couche sécurisée significative) ne sont pas opérationnels. C’est assez stressant de voir le pouvoir d’achat / la marge disponible se réduire comme peau de chagrin lorsque les indices baissent de 10% / jour.
2) Même si le rendement des fonds € est désormais bien faible, avoir une couche sécurisée significative apporte un avantage crucial pour tirer parti des krachs et des grosses corrections - sans même que l’on doive la mobiliser directement. La seule présence de ces fonds € m’a permis d’utiliser la marge de façon plus agressive au meilleur moment, car je savais que dans le pire des cas je pourrais faire rapidement baisser le levier. Il faut donc considérer cet avantage stratégique comme une "rémunération" indirecte des fonds € - sans doute bien plus importante que leur rendement direct.
3) L’ordre des lignes de défense peut varier selon les circonstances particulières de chacun, mais en tout cas avoir défini une stratégie défensive claire avant que le krach ne survienne est un avantage tactique et psychologique clef pour en tirer parti. Certains préfèreront mobiliser leurs fonds € avant d’utiliser la marge, par exemple. Je ne pense pas qu’il y ait de bon ou de mauvais ordre dans l’organisation de ces lignes de défense, même si j’ai tendance à penser que la forte baisse du coût de la marge (consécutive aux baisses de taux des banques centrales) en facilite l’utilisation - mais ça reste un outil difficile à manier pour beaucoup d’investisseurs amateurs (moi y compris).
4) Il est sous-optimal de rechercher le point bas (impossible à timer) ou d’accompagner le rebond une fois qu’il est bien lancé ; il est préférable d’accompagner régulièrement la baisse (par paliers d’intervention). Je trouve techniquement plus compliqué d’accompagner les marchés lors de la phase de rebond (d’autant plus que les risques demeurent), que de renforcer régulièrement pendant la baisse. Cela dit, cette approche demande une certaine résilience psychologique et une rigueur sur la gestion du levier.
5) Les krachs ou grosses corrections sont des opportunités de s’enrichir rapidement. Si j’étudie l’évolution de la performance relative de mon portefeuille IB par rapport aux indices, la surperformance s’est clairement construite pendant les corrections significatives, au 4e trimestre 2018 et au 1er trimestre 2020, grâce à une bonne stratégie. Ma priorité est donc de préparer mon portefeuille aux prochains chocs, que je vois davantage comme des opportunités que comme des périls.
Actuellement, ma situation est assez imparfaite car ma 1ère ligne de défense est inactive (je n’ai pas de revenus professionnels) et l’efficacité de ma 2e ligne de défense est amoindrie par le fait que mon levier est un peu trop important (1,4 contre une cible de 1,3). Cela devrait rentrer dans l’ordre dans les mois à venir avec ma reprise professionnelle, mais j’espère qu’il n’y aura pas de krach d’ici là.
@Gog : 1) Je pense tout d’abord que, de façon générale, et plus particulièrement dans le contexte actuel de QE / taux ultra-bas, la couche sécurisée doit être calibrée correctement, et surtout pas excessivement. Dans mon cas, mes fonds € représentent actuellement environ 15% de mon patrimoine total, mais je réfléchis plutôt en montant brut qu’en pourcentage.
A mon sens, cette calibration doit répondre aux objectifs que l’on fixe à la couche sécurisée.
Dans mon cas, cette couche sécurisée a 2 objectifs :
a) Un objectif principal : Permettre le financement des projets de vie et répondre aux aléas de la vie : Dans mon cas, je ne désespère pas de faire une belle rencontre, acheter une maison et fonder une famille (aléa positif). Par ailleurs, dans mes phases sans emploi je n’ai qu’une couverture maladie minimale (aléa négatif). Donc je dimensionne cette couche sécurisée pour constituer un possible apport (important) pour un achat immobilier familial, ou pour des frais d’hospitalisation élevés. 350k€ (le niveau actuel de mes fonds €) me semble correct, mais aller jusqu’à 500k€ ne me choquerait pas.
b) Un objectif secondaire : Me permettre une utilisation agressive de la marge pour tirer parti des krachs boursiers : Pour cela, le montant de mes fonds € devraient au moins correspondre à mon utilisation de la marge (actuellement 183k€). Si je maintiens un risque / un levier constant sur mon portefeuille boursier, cela signifie que le niveau actuel de mes fonds € pourrait supporter un doublement de mon portefeuille boursier total (de 1M€ à 2M€, à la louche).
Bref, le niveau actuel de mes fonds € me semble approprié, et je pense qu’une surpondération excessive de la couche sécurisée (comme on le voit dans pas mal de patrimoines ici) représente un gros coût d’opportunité, a fortiori dans un contexte de QE / taux ultra-bas.
2) S’agissant maintenant de la composition de la couche sécurisée, le fonds € me semble un véhicule approprié pour un investisseur français. Certes, je m’attends à ce que son rendement continue de baisser, car il me semble probable que la BCE maintienne son taux directeur nul et son programme de QE dans un horizon prévisible, compte tenu de la croissance économique atone et du risque déflationniste important. Mais le rendement n’est pour moi qu’un paramètre secondaire, par rapport aux objectifs cruciaux que je fixe à mes fonds €. Évidemment, je ne crache pas sur un peu de rendement (mes fonds € sont essentiellement à l’AFER, avec une rémunération qui me semble correcte par rapport à la concurrence).
Cela dit, si des fonds / ETF obligataires me permettaient d’avoir une couche tout aussi sécurisée mais avec une mobilisation / liquidation plus facile qu’un rachat de fonds € (par exemple des ETF obligataires chez IB), ce serait une possibilité que j’étudierais sérieusement. La rapidité de mobilisation des liquidités est un paramètre clef lors d’un krach (y compris sur le plan psychologique). Mais c’est à balancer avec le risque, et je raisonne toujours en worst case scenario : un fonds € chez l’AFER me semble a priori moins risqué qu’un ETF obligataire chez un courtier étranger comme IB. (Je réfléchis en ce moment à la définition de mes plafonds d’exposition maximale aux brokers.) Par ailleurs, j’étudierais sérieusement la composition des fonds / ETF obligataires avant d’en acheter pour ma couche sécurisée (mais je reconnais que je n’ai pas fait cette due diligence pour mes fonds €…).
Les obligations en direct me semblent a priori peu pertinentes dans mon cas personnel - un patrimoine moyen d’un investisseur en phase de capitalisation et adepte d’une diversification extrême - mais certainement beaucoup plus pour un investisseur en phase de consommation avec un gros patrimoine et (un peu) moins obsédé par la diversification. Je sais qu’on peut acheter des mini-bonds, mais l’idée d’être limité dans ma diversification par les montants nominaux des obligations est un repoussoir pour moi, qui me conduirait a priori a préférer les fonds / ETF obligataires.
3) S’agissant de l’impact de l’environnement économique et monétaire sur les obligations : les achats d’obligations corporate de la BCE se focalisent sur des obligations de qualité, éligibles par ailleurs comme collatéral pour les banques lors des opérations de refinancement de la BCE. Mais comme on l’a vu avec la Fed, il y a une possibilité réelle pour que la BCE, si elle devait élargir et/ou prolonger indéfiniment son QE (ce qui est mon scénario central), commence à acheter aussi des obligations à haut rendement. (Je précise que je n’ai évidemment aucune information privilégiée sur ces sujets - j’apporte uniquement mon interprétation sur la base des informations publiques.)
L’effet immédiat d’un tel élargissement du QE serait favorable pour les obligations à haut rendement, mais sur le long-terme une telle évolution serait probablement néfaste pour les investisseurs qui comptent sur ces obligations pour constituer une rente. En effet, l’écrasement des rendements par les flux réguliers du QE réduirait les rentes, et forcerait sans doute ces investisseurs vers la classe d’actifs plus risquée : les actions.
Je pense néanmoins que les obligations corporate (y compris high yield) ont toute leur place dans le patrimoine des rentiers (en phase de consommation), grâce à la plus grande prévisibilité des versements (par rapport aux actions). Mais à mon avis, cet environnement de QE ad infinitum risque de remettre en cause ce modèle et de pousser ces investisseurs à revoir leur allocation obligations / actions.
4) S’agissant des obligations indexées sur l’inflation, elles m’intéressent assez peu car je me situe depuis toujours parmi les "colombes" parmi les banquiers centraux - beaucoup plus inquiet par un scénario déflationniste (à la japonaise) que par un hypothétique retour de l’inflation.
Par ailleurs, je considère qu’un panier diversifié d’actions devrait bien se comporter dans un scénario de retour (modéré) de l’inflation, car les entreprises détiennent des actifs réels qui pourraient en bénéficier.
Enfin, je préfère actuellement l’or (malgré l’absence de cash-flow) aux obligations indexées sur l’inflation, pour 2 raisons :
a) L’or offre une couverture contre des scénarios catastrophiques - pas uniquement l’inflation. Même si je ne crois pas en ces scénarios, il n’est pas absurde d’avoir 1% ou 2% de mon portefeuille protégé contre ces scénarios. Par exemple un (très improbable) défaut souverain français affecterait les OATi mais bénéficierait à l’or.
b) L’or pourrait bénéficier du scénario (probable à mon avis) de QE ad infinitum, qui gonflerait la valorisation de tous les actifs.
5) S’agissant de la diversification en devises de la couche sécurisée, je ne me suis pas vraiment posé la question jusqu’à présent. Il me semble logique d’avoir cette couche sécurisée en €, dans la mesure où je ne veux pas accroître démesurément mon exposition au $, déjà importante via mon portefeuille boursier américain et aussi via mon salaire. Par ailleurs, la baisse des taux de la Fed a quasiment annihilé l’avantage de rémunération du cash $ par rapport au cash €.
Un facteur qui pourrait éventuellement me pousser à diversifier ma couche sécurisée dans d’autres devises serait un péril pour la signature souveraine de la France et/ou pour la zone euro. Je n’attends pas de tel scénario pour le moment, mais c’est une question à mon sens surtout politique. L’accession au pouvoir de démagogues en France et/ou en Allemagne me pousserait sans doute à reconsidérer cette question - d’autant que dans un tel scénario, l’officialisation fiscale de mon expatriation pourrait devenir envisageable. Évidemment, j’espère qu’on n’en arrivera pas là.
@Bajb : Merci pour vos choix toujours originaux de valeurs. Je suis actionnaire de longue date de Piscines Desjoyaux (la 1ère ligne de HMG Découvertes), une valeur solide qui semble décoller à la faveur de la crise : un secteur clairement en vogue actuellement !
Dernière modification par Scipion8 (05/08/2020 09h23)