LA BOMBE H2
ENQUÊTE SUR UNE EXPLOSION
L’hydrogène constituait une niche énergétique volatile presque confidentielle… jusqu’à la déflagration de 2020. Les prémisses étaient là, mais la crise fut l’allumette.
On a retrouvé de l’hydrogène dans la moitié des 20 ETF les plus performants de l’année… Dans l’introduction en bourse phénomène qui a relancé la mode des SPACs… Et bien sur dans tous les plans de relance :
* 8 juin 2020 : plan hydrogène allemand de 9 milliards d’euros, avec 5 GW d’hydrogène vert produit par an d’ici 10 ans.
* 8 juillet plan hydrogène européen : passer de 1 à 40 GW (10 milliard de tonnes d’hydrogène renouvelable par an)
* 8 septembre 2020 : Annonce du plan hydrogène français de 7 milliards d’€ sur 10 ans
* 18 novembre 2020 : plan anglais prévoyant 5 GW d’hydrogène vert produit par an d’ici 10 ans.
Sans compter les plans proportionnels espagnols, portugais,… et les 37 politiques de soutien à l’hydrogène qui ont été publiées par les autorités chinoises au 1er semestre 2020 ! .
Russes, Australiens, ou saoudiens sont sur la ligne de départ.
On attend encore le plan américain mais on ne devrait pas être déçus…
Les territoires :
L’explosion semble vouloir se propager à de nombreux territoires économiques :
Selon une étude du cabinet McKinsey, l’hydrogène pourrait représenter en 2050 18% de la demande totale d’énergie et un marché de 2.500 milliards de dollars.
Un quart des bus et des voitures particulières, et 30% des camions seraient propulsés par ce gaz. Un train sur cinq fonctionnant aujourd’hui au diesel serait remplacé par un train à hydrogène.
A plus court terme, en 2030, une voiture sur douze vendues serait à hydrogène en Allemagne, au Japon, en Corée du Sud et en Californie, les Etats aujourd’hui les plus en avance dans ce domaine. Cela signifie que l’on passerait de 15.000 voitures à hydrogène dans le monde aujourd’hui à entre 10 et 15 millions dans dix ans.
Le chiffre d’affaires européen de la production d’hydrogène pourrait atteindre 140 milliards d’euros en 2030, contre 2 milliards aujourd’hui, et près de 140 000 emplois pourraient être créés en Europe, en 10 ans, autour de cette activité.
Les indices scientifiques :
Les experts qui sont intervenu en premier sur la scène de l’explosion sont d’accord pour incriminer en priorité la mouvance verte, la seule qui sera viable à terme. Mais son tarif ne devrait être compétitif avec les autres couleurs que dans quelques années (progrès techniques et montée en puissance).
Les suspects :
1) La triade grise :
Le marché de l’hydrogène est contrôlé jusqu’à présent par trois grands industriels :
* Air Liquide (AI) 48% du marché (10% de son chiffre d’affaires)
* Linde (LIN) 22% du marché (5% de son CA)
* Air Products (APD) 21% du marché (24% de son CA).
La consommation mondiale d’hydrogène ne dépasse pas actuellement 80 million de tonnes par an (pour des besoins presque exclusivement industriels comme la désulfuration des carburants).
Seulement 4 % est produit par électrolyse.
Les stations-services à hydrogène ne sont que quelques centaines dans le monde (Air Liquide en a 120).
Pour l’explosion, ils ont été mis hors de cause : performance trop diluée !
2) Les gangs verts :
L’indice CV Hydrogène (liste des 18 entreprises historiques centrées sur l’hydrogène) a enregistré une performance moyenne de magnitude +400 % en 2020 (pour seulement +100 % en 2019). Deux fois plus que le meilleur des ETF (ARKG).
Ceux là ont clairement participés à l’explosion !
On constate que celle ci a eu lieu en 2 phases, l’une d’avril à juin a consisté à amplifier par quatre le rebond boursier général , puis une accalmie de juillet à octobre pendant laquelle se sont succédées les annonces de plans hydrogène. Rien d’étonnant donc que la deuxième phase de l’explosion ait été plus impressionnante encore à partir de novembre…
3) La bande de la mobilité :
Volkswagen, Toyota, Mercedes-Benz, Honda, Dongfeng, Hyundai et d’autres constructeurs ont sorti des véhicules propulsés à l’hydrogène mais cette activité est trop diluée pour aider à leurs performances.
De nouveaux arrivants pure-players tentent de tout faire sauter. Mais ils sont peut être handicapés par la sulfureuse réputation de leur leader, le très controversé Nikola (NKLA) ! Citons Hyzon motors (DCRB), ou Hopium (MLHPI).
D’autre part, des motoristes au gaz naturel ont entamé leur migration d’explosif vers l’hydrogène, comme le tandem Westport Fuel Systems Inc.(WPRT) / Cummins Engine (CMI).
Gravitant autour de la bande, les caïds des réservoirs et autres équipementiers risquent de tirer les marrons du feu. Surtout les spécialisés :
Hexagon Purus (FRA:0QJ),
Cell Impact AB (CI-B.ST),
Impact Coatings AB (IMPC.ST).
Mais aussi pourquoi pas les généralistes volontaristes : Plastic Omnium (POM), Faurecia (EO), GTT, …
Mais les plus susceptibles d’exploser à leur tour pourraient être les installateurs de stations hydrogènes, indispensables évidemment au développement de la mobilité :
Tout le monde a remarqué l’entrée en jeu de Hydrogen Refueling Solutions (ALHRS) en France, mais on peut citer aussi Everfuel (EFUEL), récent spin-off de Nel qui a eu un parcours encore plus explosif…
4) Les snipers :
Des petites entités à la cotation incertaine pourraient faire des dégâts dans le secteur, mais ils sont difficiles à attraper :
Hydrogen Engine Center (HYEG)
Hydrogen Hybrid Technologies (HYHY)
SunHydrogen, Inc. (HYSR)
Vision Energy Corporation (H/Cell : VIHD)
Hydrogenics (HYGN)
HydrogenPro AS (HYPRO)
Le Terreau de la relève :
Les coupables ont fait des émules : nombre de jeunes entreprises sont prêtes à venir faire sauter les cours à leur tour. A la cadence d’introductions en bourse (SPAC ou pas SPAC) actuelle, plusieurs d’entre elles vont certainement franchir le pas dans les mois à venir :
Blue World Technology
Hynet
Algalco
HPS Home Power Solutions GmbH
Next Hydrogen
Lhyfe
Genvia
Hycco
Hygo
Green GT
Horizon Fuel Cell Technologies
GKN
Green Hydrogen Systems
Energy Observer Developments
Enapter (Acta)
PowiDian (Airbus / Bouygues)
Helion Hydrogen Power (Areva)
Sunfire
Sylfen
HydrogenPro
H2V (avec Air Liquide)
Green Hydrogen Systems
Quand aux autres, ce sera probablement un rachat par de gros receleurs, à l’exemple de :
Symbio (rachat Michelin / Faurecia)
Hydrogenics (rachat Cummins)
Ergo Sup (rachat Air Liquide)
Proton on site (rachat Nel)
Areva H2Gen (rachat GTT)
Giner ELX (rachat Plug Power)
New Enerday et IHT (rachat Sunfire)
Après l’explosion, l’implosion ?
L’explosion de la capitalisation des entreprises hydrogène évoque évidemment une bulle et d’aucuns s’en font abondamment les chantres, s’appuyant notamment sur l’absence de bénéfices actuels et se voulant confortés par les corrections de ces dernières semaines.
Mais le secteur est évidemment à son début : les industriels, tout en l’espérant, n’avaient pu anticiper l’explosion (rappelons que l’ambitieux plan hydrogène français de 2018, dit « Hulot » se montait à 100 M€ /an, multiplié par 10 à 20 depuis!)
Les outils de production sont donc encore essentiellement à construire et les dettes sont non seulement inévitables mais souhaitables : elles reposent sur les plans et subventions, ainsi que sur les taux bas. Les garanties de débouchés leur donne une visibilité parmi les plus fortes de l’industrie.
Comment dans ce cas ne pas capitaliser fortement ces entreprises par anticipation ?
Je ne suis pas féru des analyses comptables DCF ou autres pour la valorisation des entreprise et de toutes façons, vu le contexte, je ne suis pas sur qu’elles soient applicables. Mais je me fais un petit calcul à la louche, par exemple sur McPhy :
Le chiffre d’affaires 2020 de McPhy a connu une hausse de +20% pour atteindre 13,7 M€. Il est composé à 60% par la fourniture d’électrolyseurs et à 40% par les stations hydrogène. La société a enregistré des prises de commandes fermes pour 23 M€ sur 2020, soit une progression de +75% par rapport à 2019.
Supposons que l’entreprise conserve à terme ses 5 % du parc occidental d’électrolyseurs (extrapolé à 100 GW en 2030 selon les plans gouvernementaux), soit 5GW à déployer sur 10 ans, ce qui donne (avec à la louche 1M€/MW d’électrolyseur) un CA total de 5 milliards d’euros, ou 500 M€ en moyenne annuelle, contre 8 M€ actuellement. Avec une montée en puissance linéaire ce serait le CA 2026.
Si la proportion de CA reste à 40 % pour des stations (pour le déploiement desquelles les plans sont aussi généreux) et 60 % pour des électrolyseurs, le CA annuel moyen total de McPhy sur 10 ans devient 830 M€… ce qui correspond à la capitalisation boursière actuelle !
Dès que les structures de production seront en place d’ici deux ans, les bénéfices vont évidemment remplacer les dettes. Je ne serai donc pas surpris de voir le cours grimper encore pas mal dans les années à venir…
Et c’est valable pour les autres acteurs de la « bulle », compte non tenu des concentrations, apparitions et disparitions d’acteurs qu’une diversification au sein de la filière devrait lisser : Toujours dans les électrolyseurs, Nel me semble encore plus en retard que McPhy en terme de capitalisation (plus grosses parts de marché), et si ITM paraît sur-valorisée c’est sans doute du aux 20 % de Linde à son capital et à sa position probablement hégémonique dans le plan britannique.
Pour ce qui est des piles à combustible elles constituent un sous-secteur potentiellement un peu plus concurrentiel (et très américain) et les véhicules à hydrogène plus encore, mais les acteurs en restent encore peu nombreux et la valorisation similaire.
Je n’hésiterai pas à faire des renforcements en profitant de la respiration actuelle.
J’avoue, je suis complice !
Dernière modification par CroissanceVerte (25/02/2021 17h07)