Bonjour à tous,
Pas de souci pour la dérive de la discussion : c’est assez inévitable quand on commence à parler de macroéconomie. Inévitablement, des aspects politiques, philosophiques, s’invitent dans la discussion.
Je réponds sur plusieurs points - étant entendu que je n’exprime que mon opinion personnelle et que je ne prétends ni à la vérité scientifique (je suis un opérationnel, pas un académique) ni à la neutralité politique (je suis adepte d’un libéralisme raisonné, dans la tradition française - enfin… la tradition philosophique, plus que la pratique politique en France…). J’essaie d’être clair mais en restant technique, en laissant le soin au lecteur de zapper ce qui paraît trop complexe pour se diriger vers les questions plus simples.
1) Risque inflationniste aux USA vs Europe : @TyrionLannister : Effectivement, j’ai une appréciation très différente du risque inflationniste aux USA et en zone euro, même si je pense que dans les 2 cas il ne se concrétisera pas (dans le sens où la Fed comme la BCE sauront prendre les mesures nécessaires pour empêcher toute inflation excessive).
Des facteurs qui me semblent conduire à un risque inflationniste plus élevé aux USA qu’en Europe :
- moins de "slack" sur le marché de l’emploi, y compris pour des emplois peu qualifiés
- un stimulus monétaire et budgétaire plus massif aux USA qu’en zone euro, en raison des contraintes juridiques sur le QE en zone euro (cf. le jugement de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe l’an dernier) et d’une plus grande discipline de marché (même si elle est très affaiblie) sur les dérives budgétaires en zone euro qu’aux USA
- une conjoncture politique qui conduit à une remise en cause de l’orthodoxie budgétaire (par exemple des cibles / plafonds de dette publique en % PIB) par les élites démocratiques au pouvoir aux USA - pas simplement par l’aile gauche adepte de la MMT - alors qu’en zone euro l’Allemagne continue à jouer le rôle de garde-fou
- des facteurs structurels, comme la démographie (même si le dernier recensement américain montre une baisse du taux de fécondité aux USA, désormais inférieur à celui de la France)
Ce risque inflationniste plus prononcé aux USA qu’en Europe se retrouve dans les anticipations d’inflation de long-terme du marché : désormais supérieures à la cible de 2% de la Fed aux USA, et inférieures à celle de la BCE en zone euro.
2) Le contre-exemple du Japon : @Flosk22 : Les 2 reproches que l’on fait souvent aux autorités japonaises s’agissant de leur réponse initiale (années 1990s / début des années 2000s) à la déflation :
- une approche beaucoup trop graduelle dans les mesures anti-déflation (taux d’intérêt nuls ou négatifs, QE) : la BoJ a pris les bonnes mesures (en tout cas on n’a pas trouvé mieux depuis face à une déflation), mais elle les a mis en place de façon très progressive, avec une calibration initiale très prudente, compte tenu des incertitudes sur les effets de ces mesures (il faut garder à l’esprit que beaucoup annonçaient une hyper-inflation au Japon en conséquence de l’augmentation massive de la masse monétaire entraînée par les mesures de la BoJ, exactement comme bcp le font actuellement aux USA voire en Europe !). En agissant de façon trop graduelle, la BoJ a laissé s’enraciner les anticipations déflationnistes dans les mentalités des agents économiques - qui dès lors deviennent très difficiles à faire évoluer.
- une certaine passivité face à la "zombification" du système bancaire et de l’économie : le risque de mesures anti-déflation appliquées de façon durable, c’est de freiner, voire d’empêcher, le nécessaire renouvellement du tissu économique, par l’élimination des banques et entreprises non-viables. Avec des taux nuls voire négatifs, des entreprises surendettées et non viables peuvent survivre indéfiniment. La conséquence, c’est une mauvaise allocation du travail et du capital dans l’économie, qui pèse sur la croissance structurelle du pays, et enracine encore plus la déflation.
Évidemment, la Fed et la BCE ont tiré les leçons de l’expérience japonaise pour leurs propres mesures anti-déflation, d’abord en 2008 (premier QE de la Fed) et 2015 (premier QE de la BCE) puis à l’occasion de la pandémie en 2020. Elles ont d’ailleurs largement bénéficié d’échanges avec la BoJ (à titre d’exemple, on m’a envoyé en stage à la BoJ en 2014 pour préparer le QE de la BCE). Il faut bien comprendre que la BoJ a plus de 20 ans d’expérience sur ces sujets, donc ce sont vraiment les meilleurs experts au niveau technique (ils ont appris de leurs erreurs), la Fed et la BCE restent presque des "débutants" en la matière, même si avec 2 crises majeures leur expérience s’est bien étoffée.
Le premier enseignement, ça a été d’agir de façon beaucoup moins graduelle quand les anticipations d’inflation à moyen/long terme décrochent de la cible de la banque centrale : ainsi, la banque centrale vise délibérément à impressionner en annonçant des montants de QE massifs, voire des QE illimités comme la Fed à l’occasion de la pandémie. C’est une application de la théorie du "big stick" dans le domaine monétaire (que Draghi avait déjà exprimée par son discours "whatever it takes" en 2012). On en voit aussi l’application dans la communication de la Fed et de la BCE sur le fait qu’elles sont prêtes à laisser temporairement l’inflation dépasser leur cible.
Le second enseignement, c’est d’essayer de calibrer correctement les mesures dans le temps pour éviter les effets néfastes de zombification. Dans le domaine bancaire, cela signifie bien séparer les mesures systémiques de soutien au banque des mesures idiosyncratiques de sauvetage des banques les plus en difficulté, par exemple. C’est un point sur lequel je travaille en ce moment : j’aide les banques centrales à mettre en place des cadres appropriés pour les mesures idiosyncratiques (ELA, Emergency Liquidity Assistance = Apport de Liquidité d’Urgence) pour ne pas "surcharger" les mesures systémiques, qui dès lors peuvent être recalibrées plus facilement (si on n’a pas de filet de sécurité idiosyncratique, alors les mesures systémiques sont sur-calibrées pour sauver les "maillons faibles"). Les mesures idiosyncratiques sont à dessein "douloureuses" pour les banques qui en auraient besoin (= on les force à se réformer, i.e. on empêche la zombification).
3) Anticipations d’inflation des ménages : @Flosk22 : Les ménages forment leurs propres anticipations d’inflation (c’est d’ailleurs sans doute ce que vous faites quand vous vous posez ces questions) et ajustent leurs comportements de consommation et d’investissement en conséquence (de façon plus ou moins consciente et organisée, plus ou moins graduelle).
Ces choix de consommation et d’investissement vont affecter le système bancaire, de même que votre mode de consommation alimentaire va impacter votre foie. Le système bancaire "synthétise" l’ensemble des flux de tous les agents économiques. Par exemple, si vous vous inquiétez particulièrement de l’inflation, vous allez peut-être rechercher des informations sur ce forum sur les obligations indexées sur l’inflation ou sur l’or, et peut-être passer des ordres en conséquence, qui vont impacter les banques et influer sur les prix de marché. Le rôle du système bancaire n’est pas d’exprimer une opinion sur le risque inflationniste, mais simplement de permettre la réconciliation des flux acheteurs et vendeurs de protection sur l’inflation, le prix de marché servant à équilibrer ces flux.
D’où le focus de la banque centrale, quand elle surveille les anticipations d’inflation, sur les prix de marché - ils doivent fournir une synthèse intéressante sur les flux de l’ensemble des agents économiques (y compris les ménages), donc sur les anticipations. En complément, la banque centrale utilise des enquêtes et sondages, y compris auprès de ménages, par exemple sur les perceptions d’inflation. Et bien sûr certains de mes collègues sont experts sur le lien entre anticipations/perceptions d’inflation (selon différentes mesures) et inflation réalisée, donc la banque centrale intègre aussi cela dans son analyse.
4) Système "à bout de souffle" ou évolution normale du taux d’intérêt naturel ?
@Flosk22 : Plutôt que de parler (comme je le fais, comme la plupart des commentateurs) de facteurs déflationnistes et inflationnistes, il serait plus précis de parler des facteurs qui font évoluer le taux d’intérêt naturel. Le taux d’intérêt naturel est le taux d’intérêt réel (= après inflation) qui permet d’équilibrer les flux d’épargne et la demande d’investissement, avec le plein emploi et des prix stables.
Ce taux d’intérêt naturel ne peut être qu’estimé et non observé. Si la banque centrale établit son taux directeur au-dessus du taux d’intérêt naturel, sa politique monétaire aura tendance à exercer une force déflationniste ; si son taux directeur est inférieur au taux d’intérêt naturel, sa politique monétaire aura tendance à exercer une force inflationniste.
Quand bien même elle aurait une idée très précise du taux d’intérêt naturel (ce qui n’est pas le cas), la banque centrale peut (et doit !) parfois faire dévier son taux directeur du taux d’intérêt naturel, afin de lisser le cycle économique (cela justifie, par exemple, d’avoir un taux directeur inférieur au taux d’intérêt naturel pendant une pandémie majeure). Si elle ne le faisait pas, le cycle économique jouerait pleinement, avec des effets très destructeurs lors des récessions sévères (effets d’hystérèse sur l’emploi : pertes de qualifications lors de périodes de chômage prolongé, dépressions / maladies / risques sociaux etc.).
Voici l’évolution estimée du taux d’intérêt naturel en Europe depuis le 14e siècle (selon une étude que j’ai déjà citée ici) :
On voit une évolution séculaire baissière, au fur et à mesure que l’Europe devient économiquement et technologiquement plus avancée, plus démocratique, plus âgée.
Ce taux d’intérêt naturel est essentiellement exogène à la banque centrale. Cela signifie que la banque centrale ne peut pas le faire vraiment évoluer avec sa politique monétaire. Tout ce qu’elle peut faire (c’est son rôle), c’est gérer la déviation (estimée) entre son taux directeur et le taux d’intérêt naturel pour lisser le cycle économique et atteindre l’objectif de stabilité des prix.
C’est pour cela que vous entendrez souvent les banquiers centraux (orthodoxes) dire parfois que "l’inflation est un phénomène monétaire" : si la banque centrale gère correctement sa déviation par rapport au taux d’intérêt naturel, alors on ne doit pas voir d’inflation excessive.
Idem bien sûr pour la déflation - sauf qu’avoir un taux directeur négatif quand le taux d’intérêt naturel devient très faible voire négatif, c’est techniquement beaucoup plus compliqué (des mesures comme le QE, l’helicopter money, les taux négatifs etc. sont possibles mais risquées et elles ont des effets secondaires). C’est pour cela qu’un opérationnel comme moi sera généralement moins inquiet par un risque inflationniste que par un risque déflationniste…
Pourquoi dis-je que le taux d’intérêt naturel est "essentiellement" exogène à la banque centrale ? Parce que si la banque centrale manque à son mandat de gardienne de la stabilité des prix, alors cela doit forcément avoir un impact sur le taux d’intérêt naturel, puisqu’il y a alors un impact sur l’équilibre entre épargne et investissement. Donc le cadre institutionnel de la banque centrale (par exemple son indépendance) est sans doute l’un des nombreux facteurs qui a conduit à la baisse séculaire du taux d’intérêt naturel, mais le taux d’intérêt naturel est essentiellement exogène à la politique monétaire (habituelle) de la banque centrale.
Comme vous le voyez sur le graphique, la baisse du taux d’intérêt naturel est un phénomène séculaire - et qui manifeste largement l’amélioration de nos conditions de vie au fil des siècles :
- quand on risque de se faire détrousser sur chaque chemin, le taux d’intérêt naturel est plus élevé (toutes choses égales par ailleurs) que lorsque l’ordre règne
- quand la monnaie est manipulée à sa guise par le souverain, le taux d’intérêt naturel est plus élevé (toutes choses égales par ailleurs) que lorsqu’une banque centrale indépendante, opérant sous contrôle démocratique, respecte fidèlement son mandat de stabilité des prix
- quand on n’a pas de projets de long-terme sur lesquels investir, soit parce qu’il n’existe pas de marchés de capitaux, soit parce qu’il n’y a pas de projets intéressants (innovations technologiques), par exemple, alors l’argent sert à la consommation immédiate, et le taux d’intérêt naturel est plus élevé (toutes choses égales par ailleurs)
Donc le système n’est pas du tout "à bout de souffle" : la baisse continue du taux d’intérêt naturel manifeste au contraire l’amélioration continue des conditions de vie et de l’activité économique. Cela dit, elle pose un défi pour les banques centrales, car elles ont du mal (comme la plupart des gens) avec l’idée de taux négatifs. Techniquement, ce n’est pas simple d’empêcher une déflation. Mais il ne faut pas exclure la possibilité que les prochaines générations vivent dans un monde à taux d’intérêt essentiellement négatifs… et que cela puisse être une bonne chose !
5) Quelles nouvelles mesures contre une déflation ?
Jusqu’à présent, la Fed et la BCE opèrent largement selon le "playbook" nippon, en tirant les leçons de l’expérience japonaise depuis 25 ans. On peut dire que cela a été un succès face au risque déflationniste aux USA et en Europe, puisque désormais il semble que les gens s’inquiètent davantage du risque inflationniste ! (ce n’est pas mon cas)
Les mesures actuellement en place face au risque déflationniste sont :
a) une gestion quantitative de la monnaie (QE), une fois que le taux directeur a atteint sa "borne basse" (0%, pour la plupart des banques centrales)
b) un taux d’intérêt négatif sur les réserves excédentaires des banques pour accélérer la circulation de la monnaie dans le système bancaire et l’économie (effet "patate chaude")
c) des injections de liquidité à taux nul voire négatifs au niveau des banques, comme les TLTRO (Targeted Longer-Term Refinancing Operations) à 4 ans de la BCE
d) un engagement explicite de la banque centrale de maintenir des taux bas et/ou de laisser temporairement l’inflation dévier au-dessus de sa cible ("forward guidance"), afin de ré-ancrer les anticipations d’inflation de long-terme autour de la cible de la banque centrale
Évidemment, il y a beaucoup de brainstorming dans la communauté académique et au sein des banques centrales sur de nouvelles idées si les mesures (a, b, c, d) s’avéraient insuffisantes, par exemple :
e) transformation des portefeuilles d’investissement des banques centrales en portefeuilles de politique monétaire : outre leurs portefeuilles de QE, les banques centrales ont des portefeuilles d’investissement qu’elles gèrent séparément ; on pourrait les transformer en portefeuille de QE, avec des objectifs de volumes suivant une logique de QE
f) taux d’intérêt négatifs sur la circulation fiduciaire : ce n’est pas une idée nouvelle, elle a été imaginée par Silvio Gesell il y a plus d’un siècle. De même que la BCE applique un taux négatif (-0,5%) aux réserves excédentaires des banques, on pourrait imaginer une dépréciation naturelle des billets de banque - avec le même objectif d’augmenter la vélocité de la monnaie. Ce n’est pas facile (mais pas impossible) à faire avec de la monnaie papier (par exemple on pourrait appliquer un taux de dépréciation aux billets selon leur année d’émission), beaucoup plus simple avec d’éventuelles monnaies numériques de banques centrales (Central Bank Digital Currencies, CBDC)
g) helicopter money : comme le QE, il s’agirait d’augmenter la masse monétaire, mais sans passer par le système financier (avec les effets inégaux de création de richesse que cela implique) mais par des distributions monétaires aux ménages. A noter que le "vrai" helicopter money est monétaire (= distributions par la banque centrale), et non budgétaire : les chèques de Biden, par exemple, s’accompagnent d’une hausse de la dette publique, donc à terme d’une charge fiscale plus élevée (alors que pour l’helicopter money monétaire, le "prix à payer" est inflationniste). Perso je pensais que la pandémie (par essence limitée dans le temps) aurait pu être un bon environnement pour tester cette idée, mais cela reste très difficile à envisager pour une banque centrale - car dès lors il y aurait une pression constante pour recommencer, avec à terme une menace sur son indépendance. Donc les distributions financières ont été faites par les États.
6) Politique monétaire et inégalités : @Rasmussen : vraiment, je ne vous comprends pas quand vous affirmez que les banques centrales n’enrichiraient que les riches. Surtout quand je lis votre file de présentation : vous avez pleinement bénéficié de la politique monétaire accommodante (i) en vous endettant à des conditions très favorables (prêt conso) et (ii) en gagnant massivement sur vos investissements en bourse, les banques centrales fournissant évidemment un vent très porteur à partir de mars/avril 2020.
Vous voyez bien, sur la base de votre exemple personnel, qu’il n’y a nul besoin d’être "riche" pour tirer avantage de la politique monétaire très accommodante dans le contexte de la pandémie ! En revanche, il fallait (i) faire fonctionner ses méninges et (ii) avoir de l’audace. Cela a été votre cas, bravo ! Et ça tombe bien, parce que c’est exactement ce que l’on peut souhaiter : récompenser la prise d’initiatives, la prise de risques, le financement de l’économie - et non pas déverser des subventions, en enracinant dans la population l’idée que "ça tombe tout seul".
C’est précisément pour cela qu’un système libéral est plus efficace qu’un système subventionné : il valorise l’initiative, le travail, le mérite, l’intelligence. C’est d’ailleurs l’un des arguments essentiels en faveur de l’orientation des mesures des banques centrales vers le système financier, plutôt que des mesures de type subventions comme l’helicopter money : la banque centrale laisse le système bancaire jouer son rôle d’allocation du capital. Si l’État (ou autre administration publique) était un meilleur allocateur du capital que le marché, la Guerre Froide aurait fini bien différemment…
Cela dit, je reconnais volontiers que le QE bénéficie plus directement aux détenteurs d’actifs et peut donc conduire à une aggravation des inégalités : c’est le rôle de l’État (et non pas de la banque centrale, qui n’a ni la légitimité, ni les outils pour ça) de corriger éventuellement ces inégalités, par la fiscalité (par exemple un renforcement de la fiscalité sur le patrimoine) et les politiques sociales.
Le niveau d’inégalité économique dans une société est le résultat d’un choix politique : en France, nous avons fait collectivement le choix d’un niveau modéré d’inégalité économique (sachant qu’un niveau d’égalité absolue entraînerait au minimum un appauvrissement considérable du pays, au pire une tyrannie). C’est un choix démocratique. Ce n’est pas le rôle d’une banque centrale d’interférer avec ce choix : elle fait ce qu’il faut pour maintenir la stabilité de la monnaie, l’État gère les conséquences éventuelles par des mesures redistributives.
En l’occurrence, la réalité en France, c’est une remarquable stabilité des indicateurs d’inégalité économique : l’indice de Gini sur le niveau de vie est stable autour de 0,29 depuis presque 50 ans (légèrement inférieur à la moyenne de l’UE). L’indice de Gini sur les patrimoines bruts (évidemment plus élevé) a même eu tendance à baisser ces dernières années (autour de 0,63 actuellement).
C’est ça la réalité des chiffres en France et cela va à l’encontre du discours médiatique et politique dominant : donc ceux qui se plaignent de la supposée "montée des inégalités" en France méconnaissent la situation, ou le font délibérément avec un agenda politique.
Mon interprétation, c’est que le degré élevé de redistribution en France amortit naturellement les éventuels effets inégalitaires "de premier tour" du QE, ce qui n’est pas le cas aux USA (où les indices de Gini sur les niveaux de vie et les patrimoines ont fortement augmenté depuis 10 ans).
7) Vieillissement démographique et déflation : @Rasmussen : comme dit plus haut, il faudrait plutôt réfléchir au rôle éventuel du vieillissement démographique sur l’évolution du taux d’intérêt naturel. S’il y a inflation ou déflation par la suite dépend de la nature de l’action de la banque centrale ("l’inflation est un phénomène monétaire").
Quand je dis que le vieillissement démographique est un facteur déflationniste, je simplifie évidemment beaucoup (idem d’ailleurs pour la technologie et pour la mondialisation). Il y a des effets parfois contradictoires. Les effets du vieillissement sur les prix peuvent être très différents selon les biens et services, et aussi différents selon la cause du vieillissement (l’allongement de l’espérance de vie est déflationniste, alors que la baisse de la natalité est inflationniste).
Mais en termes "nets", le vieillissement démographique est bien déflationniste (plus précisément : en termes nets, il conduit bien à une baisse du taux d’intérêt naturel), et il y a une abondante littérature économique pour le confirmer (ce ne sont quelques exemples rapidement trouvés sur internet) :
Demographics and real interest rates: Inspecting the mechanism (Carvalho, Ferrero, Nechio) a écrit :
The demographic transition can affect the equilibrium real interest rate through three channels. An increase in longevity—or expectations thereof—puts downward pressure on the real interest rate, as agents build up their savings in anticipation of a longer retirement period. A reduction in the population growth rate has two counteracting effects. On the one hand, capital per-worker rises, thus inducing lower real interest rates through a reduction in the marginal product of capital. On the other hand, the decline in population growth eventually leads to a higher dependency ratio (the fraction of retirees to workers). Because retirees save less than workers, this compositional effect lowers the aggregate savings rate and pushes real rates up. We calibrate a tractable life-cycle model to capture salient features of the demographic transition in developed economies, and find that its overall effect is a reduction of the equilibrium interest rate by at least one and a half percentage points between 1990 and 2014. Demographic trends have important implications for the conduct of monetary policy, especially in light of the zero lower bound on nominal interest rates. Other policies can offset the negative effects of the demographic transition on real rates with different degrees of success.
Aging and Deflation from a Fiscal Perspective (Katagiri, Konishi, Ueda) a écrit :
Our analysis reveals that the effects of aging depend on its causes. Aging is deflationary when caused by an increase in longevity but inflationary when caused by a decline in birth rate. Numerical simulation shows that aging over the past 40 years in Japan generated deflation of about 0.6 percentage points annually.
Is ageing deflationary? Some evidence from OECD countries (Gajewski) a écrit :
We present a theoretical and empirical discussion related to interconnections between inflation and ageing, providing some empirical results regarding the impact of ageing-related variables on inflation in a sample of OECD countries. According to the macroeconomics textbook ageing is generally inflationary, but a growing body of arguments can be identified to support the opposite impact. The simple empirical model is estimated via Fixed Effects (FE) and panel-corrected SE (PCSE), robust to groupwise heteroscedasticity and serial correlation. Generally, our results suggest that ageing exerts downward pressure on prices.
Aging and the Economy:The Japanese Experience (Canon, Kudlyak, Reed) a écrit :
A study from earlier this year by economists Mikael Juselius and Elod Takats examined the relationship between aging and inflation in a panel of 22 advanced economies, spanning 1955-2010. The authors found a stable and significant correlation between the age structure of a population and inflation. However, the correlation contrasts with the Japanese experience. In particular, a larger share of dependents (both young and old) was correlated with higher inflation in that study, while a larger share of the working-age population was correlated with deflation (excess supply and deflationary bias). The authors found that the correlation between inflation and the dependency ratio (young and old popula-tions divided by working-age population) was weakest for Japan, indicating that its experi-ence might not provide a predictive model for other economies.
Une autre façon de réfléchir aux effets du vieillissement sur l’inflation, c’est une lecture politique : les personnes âgées votent beaucoup plus que les jeunes et pour beaucoup elles ont accumulé des actifs, elles vivent de rentes plus ou moins fixes. Elles sont traditionnellement hostiles à l’inflation - qui au contraire faciliterait le désendettement (en termes réels) des jeunes ménages endettés.
Le poids politique croissant des personnes âgées dans l’électorat conduit les responsables politiques à la prise en compte de leurs inquiétudes sur une résurgence inflationniste. Cela a peut-être contribué à l’émergence de banques centrales indépendantes, avec un clair mandat de maintien de la stabilité des prix.
8) Technologie, mondialisation et déflation : Je ne reviens pas en détail sur ce point, je suis d’accord avec les réponses déjà apportées par GBL.
L’effet le plus direct des technologies et de la mondialisation, c’est une baisse des coûts de production, qui se répercute sur les prix à la consommation.
Technologie et mondialisation ont également conduit à une intensité concurrentielle accrue, une fragilisation (voire une destruction) des situations de rente - par exemple Uber vs taxis, mise en concurrence digitale des restaurants, artisans etc., délocalisations, émergence d’une économie digitale freelance etc.
Ces évolutions sont évidemment au profit des consommateurs - tant qu’elles n’aboutissent pas à de nouvelles situations de rente, monopoles ou oligopoles (e.g. GAFAM). Donc là aussi, l’effet inflationniste ou déflationniste des nouvelles technologies et de la mondialisation dépend en grande partie des autorités publiques. Si, comme elles le doivent, elles protègent la libre concurrence et l’entrée de nouveaux concurrents et "disrupteurs", alors en termes nets, technologie et mondialisation doivent contribuer à la baisse du taux d’intérêt naturel.
9) Démocratie moderne et taux d’intérêt naturel : @Caratheodory : dans mes trop longs messages, il m’arrive fréquemment de faire des raccourcis et des ellipses. Je ne sais pas si démocratie "moderne" est le terme exact (peut-être mieux démocratie contemporaine ?).
Je faisais référence à la démocratie occidentale telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, c’est-à-dire :
- une bourgeoise politiquement active, mobilisée pour défendre ses intérêts (l’émergence de LREM en est une parfaite illustration, le noyautage du Parti démocrate par Wall Street et la Silicon Valley en est une autre)
- une auto-exclusion choisie des classes populaires du processus démocratique, par abstention, par enfermement sur des votes extrêmes qui permettent le maintien indéfini de la bourgeoisie au pouvoir (RN), ou bien par comportement politique incohérent (un coup je suis la mode du moment, un autre je mets un gilet jaune, ensuite je m’abstiens etc.)
En l’absence de mécanismes politiques cohérents (chez nous, historiquement, le PCF et les syndicats, désormais affaiblis ou en voie de disparition), l’exclusion des catégories populaires du processus démocratique conduit à un pouvoir très focalisé sur les priorités économiques (suppression de l’ISF, PFU) et sociétales (mariage homosexuel, dépénalisation des drogues etc.) de la bourgeoisie économiquement et culturellement dominante (les bobos, en résumé), et à l’ignorance totale des préoccupations populaires (sécurité, immigration, inégalités).
Je ne vois pas cette situation politique changer de sitôt, même si des accidents peuvent survenir épisodiquement (Brexit, Trump). Perso je vois ça comme une crise démocratique profonde, mais quoi qu’il en soit d’un point de vue économique cela crée les conditions favorables pour une défense des droits de la propriété et une politique monétaire anti-inflationniste. (La banque centrale est indépendante, bien sûr, mais elle n’est pas insensible au contexte politique.) J’ai donc du mal à envisager une hyper-inflation dans ce contexte politique (car la bourgeoisie est durablement au pouvoir et elle voudra protéger l’indépendance de la banque centrale).
10) Capitalisme et taux d’intérêt naturel : Là aussi, c’est une ellipse et une approximation. Ce que j’avais à l’esprit, c’est l’existence de marchés de capitaux, qui permettent leur circulation libre et rapide dans l’économie. Cette fluidité des capitaux doit permettre des ajustements plus rapides de la machine économique face à des chocs sur l’offre ou la demande, donc à mon sens ça doit contribuer à faire baisser le taux d’intérêt naturel.
Évidemment, je suis très influencé par mon expérience personnelle de la conduite de la politique monétaire dans les pays pauvres. Dans beaucoup de pays où je travaille, il n’y a pas de marchés de capitaux développés, et la démocratie est souvent imparfaite (pour être poli). Les épargnants sont sans cesse exposés à des risques de pertes en capital. Le taux d’intérêt naturel dans ces pays est évidemment bien plus élevé que chez nous. Par exemple dans les zones rurales (largement débancarisées) de Madagascar ou du Cambodge, les ménages peuvent emprunter à des taux > 45-50% / an, auprès d’institutions de microfinance, ou bien à des taux bien supérieurs encore auprès d’usuriers (certaines institutions caritatives occidentales rachètent ensuite ces créances, pour permettre aux emprunteurs de s’en sortir).
Voilà pour ce nouveau pavé, j’espère avoir apporté les clarifications nécessaires - tout en sachant que tout ceci est bien évidemment sujet à des vastes débats et que chacun aura son opinion, selon ses convictions profondes.
Pour le reste, peu d’activité en bourse de mon côté (performance assez médiocre cette année). J’ai injecté 40k$ de liquidités (sans les investir) et j’ai allégé de moitié ma position sur le GBTC (Grayscale Bitcoin Trust) après le tweet de Musk "découvrant" le caractère très polluant du Bitcoin - afin de réduire mon levier. J’ai acheté quelques calls sur des valeurs de conviction, à la faveur de la baisse des valeurs technologiques américaines. Ce sont mes premiers achats d’options - à titre expérimental pour le moment. Je reviendrai en détail sur mon portefeuille et cette nouvelle stratégie dans un prochain message.
J’ai été occupé ces derniers jours avec bien d’autres choses : notamment 2 bonnes choses de faites :
Dernière modification par Scipion8 (23/05/2021 19h11)