Bonjour Serrure,
Je vous réponds en 3 points : (1) d’abord sur les mREITs en général, (2) puis sur Two Harbors Investment (TWO) en particulier, et (3) enfin sur des points généraux relatifs à la gestion de portefeuille.
Précision importante : je n’ai aucune compétence ou expérience particulière sur les mREITs, ma connaissance des marchés financiers étant celle d’un généraliste. Donc les points (1) et (2) sont à prendre avec une grosse pincée de sel, comme on dit en anglais, et le point (3) reflète ma vision personnelle de principes clefs de l’investissement boursier.
1) Sur les mREITs en général :
J’ai bien noté que les mREITs (foncières hypothécaires) étaient très à la mode sur ce forum en 2012-2013 - manifestement moins maintenant - en raison des dividend yields élevés.
Perso j’essaie d’identifier les personnes particulièrement expertes sur des sujets techniques comme celui-ci et je remonte systématiquement toutes leurs interventions. Donc si vous investissez dans les mREITs, vous devriez lire les interventions notamment de Crosby sur ce forum. Sous son alias REIT Analyst, il a en outre publié d’excellents articles pédagogiques sur les mREITs sur SeekingAlpha, notamment :
How To Analyze The Value In Agency Mortgage REITs
How To Analyze The Value In Hybrid Mortgage REITs - Part 1
How To Analyze The Value In Hybrid Mortgage REITs - Part 2
Si vous investissez sur les mREITs, vous devriez "faire vos devoirs" et lire ces excellents articles pédagogiques (je remarque d’ailleurs qu’ils ont été largement appréciés - Crosby / REIT Analyst a 1119 suiveurs sur SeekingAlpha avec seulement une douzaine d’articles : un excellent ratio !).
Je trouve très pertinent d’interpréter le portefeuille de MBS d’un mREIT comme équivalent à un panier d’obligations souveraines (risque de duration), auquel s’ajoute un risque de crédit pour les non-agency MBS, et de positions shorts sur des options (risque de remboursement anticipé). Pour bien analyser un mREIT, la base me semble déjà de bien comprendre ces 3 risques : (1) risque de duration, (2) risque de crédit, (3) risque de remboursement anticipé. Ensuite, il faut comprendre la politique de couverture de ces risques par le mREIT. Perso, je ne trouve pas ça évident pour un investisseur néophyte - disons qu’il faut sérieusement bosser le sujet.
Par exemple, l’effet des mouvements de la courbe des taux sur un mREIT n’est pas évident :
- une hausse des taux longs conduit à une dépréciation des MBS à taux fixe (dans la mesure où le risque de duration n’est pas couvert), mais aussi à un moindre risque de remboursement anticipé
- à l’inverse une baisse des taux longs conduit à un risque accru de remboursement anticipé (convexité négative)
- une hausse des taux courts renchérit le financement du mREIT
Perso, ma prévision à long-terme pour les taux obligataires, ce serait une courbe assez plate (pas avantageuse a priori pour les mREITs) et avec une volatilité réduite (a priori avantageuse pour les mREITs). Donc des effets incertains pour les mREITs, mais sans doute pas un environnement idéal (sans même parler de l’incertitude évidente sur cette prévision).
Par ailleurs, regarder la performance des mREITs sur longue durée peut permettre de mieux apprécier les risques de cette classe d’actifs.
On peut ainsi voir que les 3/4 des mREITs (en termes de capitalisation boursière) n’ont pas survécu à la dernière grande crise financière - certes exceptionnelle et centrée sur le marché immobilier US. Perso les mREITs ne me semble pas un investissement idéal en haut de cycle…
Sur longue période, on remarque que la performance totale (total return = variation du cours + dividendes) est assez médiocre pour les mREITs en comparaison avec les indices, et meilleure pour les agency mREITs que pour les non-agency mREITs. Néanmoins ce jugement est à nuancer compte tenu de l’impact exceptionnel de la dernière crise.
Bref, à mon sens, l’investissement dans les mREITs demande à l’investisseur amateur un certain travail pour bien comprendre les mécanismes et les risques… mais sans certitude que ce travail soit mieux rémunéré qu’un bête ETF.
Je pense que l’intérêt des mREITs pour un investisseur amateur dépend beaucoup de ses circonstances particulières, par exemple :
a) est-il en phase de consommation ? (= fort besoin de distribution / dividendes)
b) est-il expatrié / non-résident fiscal français ?
c) est-il anglophone ?
d) comprend-il les mécanismes de base des obligations et des options ?
e) comprend-il les articles pédagogiques sur les mREITs (comme ceux de Crosby / REIT Analyst) ?
Pour chaque réponse positive, comptez 1 (ou max 2) point(s). Le total vous donne le pourcentage maximal d’exposition aux mREITs dans votre portefeuille boursier… Si le total est 0, alors l’investisseur ne devrait à mon sens pas détenir de mREITs.
2) Sur Two Harbor Investments (TWO) :
Perso, pour une découverte rapide d’une entreprise, j’aime bien utiliser les présentations des entreprises aux investisseurs - plus accessibles et synthétiques qu’un austère rapport annuel. Celle-ci par TWO me semble pas mal.
Quelques points que je retiens :
a) Perte de 308 millions $ en 2018 (ce n’est pas clair pour moi dans quelle mesure cette perte s’explique ou non par l’intégration de CYS).
b) Levier de 5,8, assez élevé comparé à la moyenne des mREITs. Mais considérant la proportion importante d’agency MBS (typiquement plus leveragés que les non-agency MBS), ce niveau de levier me semble acceptable.
c) Portefeuille composé à 79% d’agency MBS, 14% de non-agency MBS et 7% de MSR (mortgage servicing rights). Si je comprends bien l’évolution de TWO ces dernières années, TWO est passée d’un portefeuille hybride avec une large part de non-agency MBS (notamment subprime) à un portefeuille désormais largement dominé par les agency MBS. Perso, cette évolution me semble pertinente dans le contexte d’un haut de cycle, car une récession sévère aux USA toucherait a priori davantage les non-agency MBS que les agency MBS. Par ailleurs, les MSR réduisent la vulnérabilité du portefeuille à une hausse des taux. Donc je trouve cette composition a priori plutôt pertinente (mais moins évidente à analyser qu’un pure player des agency ou des non-agency MBS).
d) La qualité du portefeuille de "legacy" non-agency MBS semble se dégrader : il s’agit à 76% de subprime (emprunteurs avec un mauvais historique de crédit), à 13% d’Alt-A (documentation incomplète) et 11% d’option adjustable rate mortgages (taux d’emprunt initialement bas). Ce n’est jamais un bon signe qu’une banque ou un REIT appelle un portefeuille "legacy" : cela signifie normalement que c’est une compilation d’erreurs du passé, dont il faudrait idéalement se débarrasser au plus vite… La stratégie de TWO est-elle de se concentrer désormais sur les agency MBS et les MSR ? (ce n’est pas clair dans la présentation)
e) Taux de remboursement anticipé stable à 6,8%, mais quid en cas de récession / anticipations de baisse des taux par la Fed et/ou reprise du QE ?
Bref, a priori j’apprécie le focus de TWO sur les agency MBS et la réduction du poids des "legacy" non-agency MBS, mais pour moi les pertes, un levier un peu plus élevé que la moyenne et la dégradation du portefeuille de non-agency MBS sont des points de préoccupation.
Ces risques justifient à mon sens une diversification de l’exposition aux mREITs. Par exemple, si le petit test défini plus haut m’indiquait que mon exposition maximale aux mREITs devrait être de 4%, j’essaierai de la diversifier sur au moins 4 mREITs, éventuellement en choisissant des profils différents pour éviter une trop forte corrélation et une "fausse diversification".
3) Quelques principles perso (au-delà du cas particulier des mREITs) :
a) Dividend yield élevé = risque élevé : il n’y a sur les marchés ni miracle ni free lunch. Si TWO a actuellement un dividend yield de 13,8%, c’est que le marché est incertain sur un maintien du dividende, et sur la performance de TWO à l’approche possible d’une récession aux USA. Si le marché considérait que les risques étaient réduits, il achèterait en masse les actions TWO et le dividend yield baisserait. La plupart des mREITs affichent des dividendes élevés parce que ce secteur a une mortalité très élevée (= perte totale) en cas de récession sévère aux USA (surtout sur le segment des non-agency MBS).
Ma règle perso, c’est de n’acheter des actions avec un dividende >6% que si je connais relativement bien les entreprises (par exemple des banques, dans mon secteur d’expertise). J’évite strictement des dividendes > 10%, et suis très sélectif entre 8-10% (dans cette zone j’ai Moelis, que je connais professionnellement, Ladder Capital, Starwoord Property et Apollo Commercial Real Estate).
b) Manque de compétence analytique sur un secteur = abstention ou diversification extrême : si je devais investir sur les mREITs, perso, compte tenu de ma relative incompétence sur le secteur, je le ferais sur une petite poche (max 2% de mon portefeuille) et de façon fortement diversifiée.
c) Action volatile = position calibrée prudemment : Je raisonne intuitivement en Value-at-Risk, c’est-à-dire en termes de perte possible compte tenu de la volatilité du cours. Si le cours est fortement volatile, j’aurai tendance à réduire la taille initiale de la ligne. Si votre position TWO vous tracasse, cela signifie peut-être qu’elle est mal dimensionnée. Par ailleurs, si vous regardez l’évolution de TWO sur longue période, le déclin du cours ces derniers trimestres n’a rien d’exceptionnel : c’est la volatilité normale de cette action.