Il y a des sketchs dans le Lithium européen…
En attendant la mise au point de nouvelles recettes de batteries, les Li-ion resteront indispensables à la transition énergétique, et quelle que soit la composition des électrodes, le minerai toujours indispensable sera le Lithium (y compris dans certaines recettes de batteries tout solide).
Bien qu’il ne soit pas rare (on estime les besoins entre 20 % et 30 % des réservesactuellement identifiées), l’urgence est telle que la bataille pour s’emparer des ressources minières de Lithium fait rage, d’abord sur les plus gros gisements d’Australie et d’Amérique du sud, mais aussi sur des gisements plus réduits. Cinq majors dominent l’essentiel de la production mondiale : Sociedad Química y Minera de Chile (SQM), Livent (LTHM), Albemarle (ALB) et les chinois Tianqi Lithium (002466.SZ) et Ganfeng Lithium (1772.HK). Des dizaines de société cotées plus petites ont été créées ces dernières années en Australie et aux USA, avec parfois de jolies miettes.
La Chine extrait seulement 17 % du Lithium de son sol mais en contrôle beaucoup plus à travers le monde et produit près de 80% du Lithium raffiné. Elle accélère la course à la concentration : Zijin Mining vient d’acheter Neo Lithium, peu après que Contemporary Amperex Technology Co (CATL) ait acheté Millennial Lithium au nez et à la barbe de Ganfeng.… Cela suscite de plus en plus d’inquiétudes en occident.
Le Lithium vient d’être rajouté à la liste des matériaux critiques identifiés par la commission européenne. Il faut dire que la croissance du marché des VE est menée par l’Europe et qu’une trentaine de gigafactories de batteries Li-ion y sont programmées d’ici 2030.
La commission tente donc de sécuriser nos approvisionnement extérieurs, mais pousse aussi à développer une production intérieure pour regagner en souveraineté. Car il y a aussi du Lithium dans le sous-sol de l’Europe, mais la production actuelle y est anecdotique et seulement utilisable en verrerie…
* Des australiens qui viennent extraire le Lithium des européens !
Les australiens ne veulent plus de nous pour aller sous la mer, mais ils viennent volontiers dans nos sous-sol… On en retrouve en effet dans presque tous les projets d’exploitation :
Vulcan Energy Resources Ltd (VUL.AX) dans la vallée du Haut-Rhin en Allemagne.
European Lithium (EUR.AX) en Autriche, projet Wolfsberg.
Infinity Lithium (INF.AX) en Espagne, projet San José.
Victory West Moly (VWM.AX) qui contrôle Jadar Resources en Serbie.
European Metals Holdings (EMH.AX) qui contrôle Geomet, en République tchèque, projet Cinovec.
Lithium Australia (LIT.AX) en Allemagne, projet Sadisdorf.
Exore Resources (ERX.AX) au Portugal, projet Sepeda.
Sans compter l’anglo-Australien Rio Tinto (RIO.AX) en Serbie.
Est-ce que ce serait plus rassurant de voir des projets bien de chez nous du type de Zinnewald, initialement lancé par l’allemand SolarWorld AG (SWVK) ? SolarWorld en a cédé la moitié en 2017 à l’occasion d’un redressement judiciaire (secteur solaire allemand cassé par Merkel et les chinois) à l’anglais Bacanora (BCN.L) lui-même majoritairement détenu par le chinois Ganfeng) en créant une joint venture : Deutsche Lithium. Cette société vient elle-même de liquider cet actif au profit de Zinnwald (ZNWD.L) avec Bacanora comme principal actionnaire. Ce même Bacanora qui a vendu sa participation de 50 % dans le projet à Erris Resources PLC (ERIS.L), tout en prenant une participation de 70 % dans Erris.… C’est clair ?
Cela dit, s’ils sont ainsi venus en masse, c’est peut-être aussi que les entreprises minières européennes n’ont pas leurs capacités techniques…. Ou le courage de se lancer dans de tels projets ?
L’essentiel est que l’Europe va produire du Lithium, quel qu’en soit l’exploitant, n’est-ce pas ?
Sauf que nombre de contrats d’achats de la future production de ces sociétés sont passées avec des fabricants de batterie asiatiques, comme Vulcan Energy et Infinity Lithium avec LG Energy Solution (LGES).
De plus, l’absence de grandes usines de raffinage de Lithium sur le sol européen risque d’obliger a exporter la production des mines classiques vers la Chine pour être traitée avant d’éventuellement revenir…
Plusieurs projets prévoient donc d’intégrer le raffinage de composés de « qualité batterie », mais cela renchérit leur coût et les rend plus difficiles à initier. Citons simplement l’exemple de Infinity Lithium, qui a une capitalisation boursière de moins de 7 M$ et prévoit d’établir une production intégrée de lithium et de raffinage pour un coût initial de 288 M$.
Pour ce qui est de méga-usines de raffinage : Green Lithium envisage une usine de raffinage de lithium en Grande-Bretagne, et le germano-canadien Rock Tech Lithium vient d’annoncer avoir choisi, après de longue recherches, le site de Guben, dans le Brandebourg, pour la construction d’une usine de production d’hydroxyde de lithium de qualité batterie. Sauf que la capacité de production annoncée couvrira à peine la demande de la giga-factory de Tesla installée… à côté !
** Extraire plus vert que vert ?
Le lithium est indispensable au verdissement de l’économie, mais ce métal blanc est-il vert ? Un peu de géologie :
Le lithium ne se rencontre jamais à l’état natif, autrement dit sous forme métallique. Il se présente sous forme dissoute, en solution dans des fluides (saumures ou « salars », eaux souterraines géothermales, eau de mer, etc.), ou sous forme solide au sein du réseau cristallin de minéraux, notamment les phosphates et les silicates.
Toutes ces formes de gisements ne conduisent pas à une exploitation industrielle rentable.
A l’heure actuelle, seuls deux sont à l’origine de l’essentiel de la production mondiale :
* Les pegmatites à spodumène, avec extraction de minerai classique, comme en Australie ou au Portugal.
* Les saumures lithinifères, où l’on extrait l’eau salée des lacs souterrains, appelés salars, et on la laisser s’évaporer pour recueillir du carbonate de lithium, comme dans les pays d’Amérique du Sud.
Parmi les autres types de gisements, on distingue :
* Les granites à métaux rares (GMR) et Greisen, dans lesquels le lithium est au sein de structures cristallines très résistantes ce qui rend leur exploitation plus complexe (c’est le cas de plusieurs projets européens : zinnwaldite et lépidolite) sauf à se contenter de pureté trop faible comme dans l’industrie des céramiques et du verre. (comme la production française actuelle d’Imerys, ou de certains sites portugais)
* La jadarite, localisée aux environs de Jadar (Serbie) découvert en 2004 par Rio Tinto et présente elle aussi des contraintes spécifiques de traitement et d’exploitation qui retardent jusqu’ici fortement sa mise en exploitation.
* Les saumures géothermales. qui ont des concentrations en Lithium faibles mais significatives. Des études sont en cours pour démontrer la faisabilité de leur exploitation, notamment en Cornouailles (Grande Bretagne), en Allemagne ou en Alsace.
De cette liste il résulte que l’extraction du Lithium est couteuse en financements et en énergie et polluante, au moins autant que d’autres exploitations minières (elle produit plus d’émissions de CO2 que l’extraction de Nickel ou de Cobalt) et parfois différemment, comme les saumures lithinifères et les risques d’augmentation des sécheresses qu’elles induisent en plus de la pollution…
Sauf les saumures géothermales !
On peut en effet dans ce cas utiliser une centrale géothermique pour extraire de la saumure chaude et riche en lithium. La chaleur génère de l’électricité par turbine, permettant l’extraction et le raffinage en hydroxyde de lithium. La saumure est ensuite renvoyée dans le réservoir souterrain au lieu de s’accumuler dans des bassins d’évaporation. Zero carbone et tout bénéfice, même si quelques problèmes de pollution et de dégradation des paysages demeurent.
Cette technique expérimentale de Lithium vert a donc attiré plusieurs entreprises :
Le projet EuGeLi (European geothermal brines lithium), qui réunit Eramet (qui l’a déjà expérimenté en Amérique du sud), BASF, Vito, et Électricité de Strasbourg, en Alsace, à Soultz-sous-Forêts (Bas-Rhin).
Le groupe Fonroche sur son site géothermique de Vendenheim en Alsace.
Vulcan Energy Resources, associé à EIT InnoEnergy, le moteur d’innovation européen pour l’énergie durable, dans la région du Rhin supérieur.
Cornish Lithium (associé au canadien Cornish Metals CUSN) avec l’usine pilote Trelavour à Cornwall au Royaume-Uni.
*** Les aléas ça vole en escadrilles ?
Au Portugal : Le gouvernement va annuler le contrat d’exploration avec LusoRecursos pour "manque de professionnalisme" de l’étude d’impact environnemental sur le projet de Montalegre. Quand au projet de l’anglais Savannah Resources (SAV.L), il se heurte a une consultation publique très défavorable, en plus de doutes sur sa rentabilité (minerai cristalin au moins deux fois plus coûteux à traiter que le spodumène). Enfin le projet Sepeda semble incompatible avec le statut de patrimoine agricole mondial de l’ONU de la région, au grand dam de Perseus Mining (PRU.AX) qui vient d’absorber l’initiateur du projet Exore Resources (ERX.AX)…
En Serbie : De nombreuses manifestations contre l’impact environnemental de la mine de Rio Tinto à Lozniga, dont un puit d’exploration fuit déjà, risquent d’obliger le gouvernement à organiser un referendum dont le résultat ne fait guère de doute. L’australien Jadar Resources (Victory West) a essayé de commencer ses explorations sur le site de Pozega en douce, mais a été découvert et de semblable manifestations se préparent. Et de même à Valjevo pour les explorations d’Euro Lithium Balkan, détenue par le canadien Euro Lithium.
En Espagne : la Direction générale de l’industrie, de l’énergie et des mines du gouvernement régional d’Estrémadure (Junta) vient de rejeter un appel contre le récent refus du très important permis de recherche du projet d’Infinity Lithium à San José.
En république Tchèque : le projet Cinovec qui avait été lancé par australien European Metals en 2018 avait été brutalement repris en majorité par le groupe énergétique CEZ, imposé par le Premier ministre Andrej Babiš, également homme d’affaires multimilliardaire. Or ce dernier vient d’être battu aux législatives et les suspicions de conflits d’intérêt qui pèsent sur lui pourraient remettre le projet en cause, d’autant plus que sa viabilité dépendrait d’une association transfrontallière avec le projet voisin Zinnewald allemand dont j’ai évoqué plus haut toute la clarté…
En Allemagne : Lithium Australia n’a pas renouvelé cette année la licence de Sadisdorf, et a renoncé à d’autres licences.
En France : Le groupe Fonroche qui opère notamment un site de géothermie sur le site de Vendenheim-Reichstett au nord de Strasbourg et espérais pouvoir en extraire du Lithium, a été obligé de fermer fin 2020 à cause d’une une série de séismes qui a secoué l’eurométropole.
**** Et si on n’a pas de Lithium, on a des idées ?
Etant donnée la rapide accumulation d’obstacles financiers, techniques, politiques et environnementaux et quand on connait la durée nécessaire pour mettre en place un projet minier, les objectifs de souveraineté européenne sur cette ressource semblent assez illusoires.
Mais il y a (et surtout il y aura) une autre source de Lithium : les batteries usagées qui vont se multiplier !
La Commission Européenne va augmenter l’obligation de recyclage des batteries de 50 % du poids de la batterie aujourd’hui à 70 % en 2030 (et plus de 90 % pour les composants toxiques ou stratégiques).
De plus, à partir de janvier 2030, des proportions minimales de contenu recyclé – de 12 % pour le cobalt, 85 % pour le plomb, 4 % pour le lithium et 4 % pour le nickel – sont prévues dans le projet. Ces taux grimperaient en 2035 à 20 % de cobalt recyclé, 10 % de lithium et 12 % de nickel.
Ces règles s’appliqueront aussi aux batteries fabriquées en dehors de l’Union.
Même si on a encore du mal aujourd’hui à tirer du recyclage de batteries des matières à un niveau de pureté dit « électronique »permettant d’en produire de nouvelles !
Sur cette manne, de nombreux grands acteurs européens se positionnent:
* Veolia (VIE), Solvay (SOLB) et Renault (RNO)
* Eramet (ERA) et Suez (SEV)
* Fortum (FORTUM), BASF (BAS) et Nornickel.
* Umicore (UMI), Audi
* Orano, Paprec, Saft (TotalEnergie), MTB, CEA
* Snam, CEA, CNRS
* Northvolt
* Une multitude de startups dont Mecaware ou Duesenfeld.
Mais les acteurs étrangers s’implantent déjà sur notre sol :
* Le canadien American Manganese (AMY.V), en partenariat avec Itavolt en Italie.
* L’australien (tiens?) Neometals (NMT.AX), en partenariat avec SMS group en Allemagne.
***** Plus on extrait moins lentement, moins on avance plus haut
Le prix spot du carbonate de Lithium en Chine s’envole depuis la fin juillet, dépassant allègrement aujourd’hui les records réalisés en 2016-2018, avant que l’arrêt des subventions chinoises aux véhicules électrique, la surproduction par rapport aux capacités de raffinage et à la demande de l’époque, puis la crise sanitaire ne l’ait fait redescendre.
Les cours des entreprises mondiales d’extraction n’ont pas obligatoirement exactement suivi celui du Lithium depuis 10 ans, au grès des évènements idiosyncratiques, mais depuis 2 mois on a plutôt un bel élan collectif de petits producteurs à +100%.
A l’exception classiquement des poids lourds moins réactifs et qui suivent les indices YTD à part Tianqui à +80% et SQM à-7%.
Pour les sites européens, c’est plus mitigé. YTD, les australiens tiennent le podium avec :
Lithium Australia qui a explosé de 800 % en janvier après… son abandon des projets européens (Et d’autres opérations interessantes en Australie) !
Vulcan Energy (+325 %) suit, en hausse continue après son accord avec LG.
European Lithium (+110% ) troisième.
Mais les autres plafonnent à +30 % voire baissent, on a vu pourquoi…
a noter que l’ETF basé sur le Lithium Global X Lithium & Battery Tech. (LIT) a lui aussi eu une performance YTD moyenne étant donnés la faible réactivité des majors du secteurs, et à la surreprésentation en son portefeuille de petits fabricants de batteries qui ont souffert du dégonflement vert et de sociétés chinoises qui ont souffert de la reprise en main communiste.
La question est donc, comme souvent, jusqu’à quand l’investissement sur le Lithium va-t-il rester une bonne affaire ?
La demande va clairement encore fortement augmenter dans les années à venir.
On a compris que l’offre en Lithium de l’Europe ne suivra pas, à l’exception de quelques projets encore sur les rails :
* Keliber, en Finlande, possédé par Sibanye Stilllwater (SSW.JO), Nordic Mining (NOM.OL) et autres sociétés minières scandivaves.
* European Lithium en Autriche,
Et surtout les sites géothermiques de
*Vulcan en Allemagne
*Eramet (entrainé par les autres minerais de son catalogue) / Electricité de Strasbourg (enfin un booster de son cours ?) en Alsace,
* ainsi que leur concurrent le groupe Arverne non coté qui vient de créer Lithium de France.
Qu’en sera-t-il de l’offre mondiale ?
Certains analystes pensent que le prix du Lithium est très surévalué eu égard à son abondance et au nombre croissant de sociétés d’extraction.
Mais la plupart estiment, avec Rystad Energy, que des mesures doivent être prises maintenant pour construire de nouveaux projets d’extraction de lithium, car il faut en moyenne cinq à sept ans avant qu’ils ne soient opérationnels. Certains évoquent même un déficit d’approvisionnement dramatique d’ici quelques années, qui pourrait faire tripler les prix du lithium d’ici 2030, mais qui pourrait entraîner des retards dans la production de millions de véhicules électriques.
Dans l’immédiat, un facteur pourrait laisser imaginer une poursuite de la tendance haussière : Les restrictions énergétiques chinoises risquent d’impacter les usines de raffinage de Lithium majoritairement installées sur son territoire. D’autre part, les perturbations dans le transport maritime devraient toucher également le circuit du Lithium, majoritairement extrait dans l’hémisphère sud, traité en Chine et revendu en occident. Les prix souvent négociés au trimestre induisent un décalage dans la répercussion des hausses de tarifs induites par la rareté et peuvent les entretenir jusqu’à la fin de l’année. Pour 2022, une transitoire baisse de la demande pourrait intervenir du fait, entre autres, du recul de la production automobile à cause de la pénurie durable de semi-conducteurs, ainsi que d’une potentielle augmentation de la production des sites existants.
Mais il n’est pas facile de lire dans une boule de Lithium…