Mon screener France couvre désormais 132 valeurs, dont l’intégralité du SBF 120. Je suis en train de l’étendre aux small caps, les principales limites étant la disponibilité de données historiques fiables de dividendes et de prévisions d’analystes pour le chiffre d’affaires.
On peut mettre en relation la performance de chaque action, mesurée par le total return (évolution du cours + dividendes), avec différents indicateurs historiques (et non pas actuels), pour évaluer la contribution éventuelle de ces facteurs à la performance :
1) Le PER : Je mets en rapport les total returns sur la période 1er janvier 2014 - 30 juin 2019 avec le PER 2014, tel que le pouvait le mesurer l’investisseur en janvier 2014 (il serait beaucoup moins pertinent d’utiliser le PER actuel).
Je n’ai pas de données historiques de PER, mais je le reconstitue approximativement de la façon suivante (par une règle de 3) :
PER 2014 = PER 2019 * (cours 1er janvier 2014 / résultat 2014) / (cours 30 juin 2019 / résultat 2019)
les cours utilisés dans ce calcul étant ajustés des splits éventuels pendant la période.
Après élimination des situations où le PER (2014 et/ou 2019) n’est pas pertinent (profits quasi-nuls, pertes), on obtient le graphique suivant (dans tous les graphiques la taille des bulles reflète la capitalisation boursière actuelle) :
On trouve qu’en France et sur la période d’observation (2014-2019), le PER n’était pas un indicateur pertinent pour un investisseur désireux de générer une surperformance (la droite de tendance est quasi plate, le R2 très faible). En d’autres termes, l’investisseur français de janvier 2014 ne pouvait tirer un avantage de la prise en compte du PER à ce moment-là.
Certaines entreprises optiquement "chères" en 2014, avec des PER 2014 autour de 30, ont performé magnifiquement les années suivantes (Hermes +154%, STMicroelectronics +158%, Interparfums +182%). A contrario, un investisseur value ne sélectionnant que des PER bas avait quelques belles opportunités début 2014 (FFP +148%, Devoteam +731%, Alten +239%, Euronext +278%%, toutes avec un PER 2014 <12) - sans compter les entreprises (non représentées sur le graphique) qui faisaient des pertes en 2014 et ont réussi par la suite un beau rétablissement (Peugeot +206%, Ubisoft +573%, SOITEC +352%).
Une approche value "aveugle" fondée sur PER ne permettait pas de générer de la surperformance en France (sur les big et mid caps) en 2014-2019. Le fait qu’il n’y ait pas de corrélation entre le PER à l’instant "t" et la performance les années suivantes suggère à mon sens qu’une approche value fondée sur le PER n’a de chance de générer une surperformance que si :
a) elle est associée d’autres paramètres, comme la croissance (pour une approche GARP), le ROE/ROIC (cf. Higgons / I&E qui associe la marge d’exploitation et le ROE au P/CF) etc.
ou
b) elle est faite de façon très sélective, en étudiant les dossiers dans le détail, afin d’identifier si la faible valorisation est justifiée ou non
2) Le dividende : Je mets en rapport les total returns sur la période 1er janvier 2014 - 30 juin 2019 avec le rendement 2014 (dividend yield = dividende 2014 / cours au 1er janvier 2014). C’est le rendement que pouvait "voir" l’investisseur en 2014.
On obtient le graphique suivant :
Non seulement choisir des actions à rendement élevé ne permet pas de générer de la surperformance (à nouveau : en France, en 2014-2019), mais cette stratégie conduisait statistiquement (= appliquée de manière aveugle sur un grand nombre d’entreprises) à une sous-performance !
Et encore, je pense que la relation négative entre performance et rendement serait plus forte si mon échantillon couvrait des valeurs à rendement élevé en 2014, qui ont périclité ensuite pour sortir du SBF 120 voire disparaître (i.e. il y a un biais du survivant dans mon graphique).
Cela dit, le R2 est faible et il y avait quelques jolis coups à jouer sur des valeurs à fort rendement (>5%) en 2014 : GTT, STMicroelectronics, Veolia, Altarea…
Là encore, cela signifie à mon sens qu’une approche fondée sur les dividendes ne doit pas être pratiquée de façon aveugle, mais avec une forte sélectivité.
3) La croissance : Je mets en rapport les total returns sur la période 1er janvier 2014 - 30 juin 2019 avec la croissance du chiffre d’affaires entre 2014 et 2018. Certes, l’investisseur de 2014 ne pouvait pas connaître cette croissance de façon précise ; mais les prévisions des analystes pour le chiffre d’affaires, à un horizon de quelques années, sont plus précises que leurs prévisions de résultats (et a fortiori, leurs prévisions de cours). Idéalement, il faudrait utiliser les prévisions de croissance de 2014 (mais je n’ai pas ces historiques de prévisions).
On obtient le graphique suivant :
On trouve ici une corrélation nettement positive entre la performance et la croissance du chiffre d’affaires, avec un R2 plus élevé qu’avec les 2 indicateurs précédents. Je pense que ce R2 serait plus élevé si l’on considérait la croissance organique (c’est l’une des raisons pour lesquelles j’utilise la croissance anticipée, et non historique, du chiffre d’affaires dans mon stock-picking), et si l’on excluait de l’échantillon des secteurs pour lesquels le chiffre d’affaires est sans doute un indicateur moins pertinent (biotechs, foncières).
Une sélection "aveugle" de valeurs avec un chiffre d’affaires en croissance permettait de générer de la surperformance, en France (sur les big et mid caps), en 2014-2019. On peut penser que cette période a été favorable aux stratégies croissance, par exemple en lien avec la phase du cycle économique, ou qu’il y a des facteurs plus structurels pour cette surperformance des stratégies growth.
Je penche pour la 2e thèse, c’est pourquoi mon portefeuille surpondère fortement les valeurs de croissance, avec une diversification extrême car la croissance du chiffre d’affaires n’est qu’un des multiples facteurs de la performance (avec un R2 de 22% en France, sur des big/mid caps, en 2014-2019).
A la lecture des forums, mon impression est que beaucoup de débutants s’orientent vers des stratégies dividendes ("cool, je reçois de l’argent sans rien faire") ou value ("cool, c’est pas cher"), alors que ces 2 stratégies, appliquées "à l’aveugle" (ce qui est probablement le cas le plus courant, pour des débutants) sont statistiquement perdantes face aux indices. A contrario une stratégie "aveugle" orientée qualité / croissance est statistiquement gagnante. [En tout cas en France, sur des big / mid caps, en 2014-2019.]
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@Bajb : Merci pour votre intérêt pour mon portefeuille. Effectivement, toute ma construction de portefeuille s’inspire des ETF, car j’observe que bien peu d’investisseurs particuliers surperforment face aux indices.
Je me suis donc interrogé sur ce que les ETF font "de bien" (et que beaucoup d’investisseurs particuliers ne font pas) et "de mal". Mon portefeuille vise à répliquer les "bonnes" pratiques des ETF tout en éliminant les "mauvaises" - mon espoir étant ainsi à terme de les battre régulièrement.
Les "bonnes" pratiques des ETF :
1) Ils sont extrêmement diversifiés : ils ont beaucoup, beaucoup plus de lignes que les 20-30 lignes que l’on voit souvent conseillées sur les forums.
2) Ils sont price-insensitive : ils achètent quel que soit le prix ; ils n’ont pas de grille value contrairement à la plupart des particuliers. C’est comme cela qu’ils achètent du Netflix ou de l’Amazon à des ratios optiquement "déraisonnables"… avant l’envolée des cours pendant des années.
3) Ils ne coupent jamais leurs positions gagnantes : au contraire, ils augmentent sans cesse la proportion des renforcements sur les positions gagnantes, par rapport aux positions perdantes.
4) Ils ne sont pas sensibles au dividende : cf. ci-dessus, la prise en compte "aveugle" du dividende conduit à de la sous-performance.
5) Ils se renouvellent sans cesse, notamment par l’addition de nouvelles valeurs performantes dans l’indice.
6) Ils ne font aucun "suivi" des sociétés : leur approche entièrement lazy allège la charge mentale de l’investisseur, donc les biais psychologiques destructeurs de performance.
7) Ils permettent un traitement fiscal optimal des dividendes étrangers et opérations sur titres.
Les "mauvaises" pratiques des ETF :
8) Ils achètent des bouses des entreprises sans potentiel, notamment des entreprises matures ou déclinantes qui ne restent dans l’indice que grâce au poids de leur passé glorieux, mais sont des boulets pour la performance.
9) Ils ne coupent pas leurs positions perdantes, tant que les actions restent dans l’indice.
10) Ils ont des frais de gestion.
11) Ils conduisent à des risques systémiques (risques de contrepartie et de liquidité, notamment sur les ETF synthétiques).
Je construis mon portefeuille comme un ETF, en répliquant strictement les bonnes pratiques 1/3/4/5/6, et en partie (pour mes premières prises de position) la bonne pratique 2 (mais je ne suis pas complètement aveugle au prix), et en éliminant les mauvaises pratiques 10 et 11 et en essayant d’éliminer la mauvaise pratique 8 (je pense être plus compétent pour identifier des mauvaises entreprises à éviter que des bonnes entreprises). Malheureusement, comme un ETF j’ai la mauvaise pratique 9, mais je travaille à m’améliorer ;-)
En revanche, je ne peux répliquer la bonne pratique 7 (traitement fiscal des dividendes étranger) : pour moi c’est la raison principale qui pourrait me conduire un jour à préferer les ETF aux titres vifs. (Tout dépendra de ma capacité à battre les ETF par mon approche.)
Perso, je ne crois pas qu’il y ait un seul argument valable en faveur de la réduction du nombre de lignes d’un portefeuille (le suivi des OST et OPA/OPR, à la limite…). J’envisage mon portefeuille comme une maison : peu m’importe le nombre de briques dans la maison ! Ce qui m’intéresse c’est sa solidité, sa résilience face aux tempêtes, son confort etc. Quand j’ajoute une ligne à mon portefeuille, j’ajoute une brique à ma maison, qui doit l’améliorer sur un de ces plans (performance, résilience, rendement, volatilité, beta etc.). Je raisonne toujours en termes de portefeuille (avec ces caractéristiques globales), je m’intéresse peu au suivi de telle ou telle entreprise… et je pense que le suivi des entreprises et non du portefeuille est même générateur d’erreurs de gestion.
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@Rossox : Par mon travail, j’ai naturellement un intérêt prononcé pour les marchés financiers et pour l’analyse, donc c’est un passe-temps agréable pour moi. Cela dit, l’objectif est effectivement de battre les ETF et je serais déçu si cela n’était pas le cas sur la durée. (Si ce n’est pas le cas, je me résoudrai probablement au 100% ETF.)
Pour un portefeuille qui grossit et sur un horizon long, un alpha même modeste peut tout à fait justifier un travail important. J’évalue régulièrement ma "rémunération" comme gestionnaire, par l’alpha généré. Cette année j’estime ainsi que mon travail d’analyse est rémunéré à environ 1700€ / mois, ce qui me semble un salaire correct d’analyste junior ;-) Cela dit, ma rémunération l’an dernier était légèrement négative…
Par ailleurs, je suis un adepte de la théorie des 10 000 heures : pour moi, cela fait sens de consacrer un temps important d’étude et d’analyse dès maintenant, non seulement pour essayer de générer de la surperformance, mais aussi pour me former, en cas de reconversion professionnelle un jour.
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@Deadbull : Effectivement. Mon benchmark habituel pour mon portefeuille français est 50% CAC 40 NR + 50% CAC Mid & Small NR. J’indiquerai les différents indices sur mes prochains graphiques de total return.
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@Fenring : Je continue de suivre les mouvements des fonds (a priori compétents) mais avec un peu plus de recul qu’à mes débuts : à l’époque j’attribuais des "points de bonus", dans mon screener maison, aux entreprises détenues par des (bons) fonds. Je ne le fais plus, après des déconvenues sévères sur des valeurs détenues par de nombreux fonds comme Ymagis et ShowRoomPrivé. En revanche, j’utilise toujours les fonds comme pourvoyeurs d’idées de stock-picking, et je les utilise parfois de façon "négative", pour éliminer des valeurs parfois vantées sur les forums mais complètement absentes des fonds.
Je prends toujours note de la présence de Norges Bank à l’actionnariat, car leur réputation comme investisseur de long-terme est excellente. Mais j’ai réalisé qu’ils sont loin d’être infaillibles, notamment sur les small caps (cf. AdUx, Theranexus…). C’est normal car ils ont des fonds énormes à distribuer sur de très nombreuses lignes, et il est inévitable (pour eux comme pour moi) que dans la masse il y ait quelques plantages majeurs. Donc je ne les suis plus automatiquement, même si leur présence au tour de table me conduira toujours à regarder un dossier de plus près.
Parmi les fonds souverains et investisseurs publics, je pense être plus proche de la philosophie de la Banque Nationale de Suisse, dont le portefeuille semble plus orienté croissance. Mais là encore, je ne vais pas jusqu’à les suivre aveuglément.
Désolé pour le pavé, et bravo pour ceux qui auront eu la patience d’aller jusqu’au bout ;-)
Dernière modification par Scipion8 (07/08/2019 13h53)