To do or not to do a green spin-off, that is the question …
Le dernier classement des majors
Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark.
Hamlet I, 4.
Le dernier en date des classements verts des entreprises petrolières et gazières (les 39 ayant la plus grosse capitalisation) est paru le mois dernier chez Bloomberg :
Les scores de transition climatique représentent la moyenne de deux scores sous-jacents : Carbon Transition Scores de Bloomberg Intelligence (BI), qui montre la performance carbone actuelle et les previsions, et Business Model Transition Scores de BloombergNEF (BNEF), qui couvrent le modèle commercial actuel des entreprises et les mesures qu’elles prennent réellement pour s’adapter.
Les 5 premières (Total, Galp, Equinor, BP et Royal Dutch Shell) détiennent environ 11 GW, soit 78%, des actifs d’énergie renouvelable détenus par les 39 sociétés notées.
Seules 12 des 39 entreprises ont établi des objectifs de zéro émission nette pour les émissions opérationnelles, et cinq incluent les émissions de scope 3 dans leur promesses.
Seules sept entreprises, dont Eni, Total, Equinor et Occidental, ont fixé des objectifs les mettant en ligne d’ici 2030 avec le scénario de développement durable (SDS) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Un tiers des 39 majors pétrolières et gazières n’ont pas encore fixé d’objectifs pour réduire leurs émissions de Scope 1 et 2.
Et plus de la moitié ne déclarent même pas leurs émissions de gaz à effet de serre de scope 3 (qui représentent pourtant en moyenne 85% de l’empreinte totale de l’entreprise).
Enfin, ce classement n’est que relatif : l’essentiel des investissements de toutes ces entreprises se fait toujours dans les énergies fossiles.
Mettez l’action d’accord avec la parole, la parole d’accord avec l’action.
Hamlet, III, 2.
L’industrie pétrolière et gazière est loin d’être prête pour la transition….
Deux logiques opposées
C’est un plaisir de faire sauter l’ingénieur avec son propre pétard.
Hamlet III, 4.
De tels classements paraissent régulièrement et je m’en fais parfois l’écho. Mais ils sont publiés dans une indifférence assez générale de la communauté boursière. Il faut dire que du point de vue de la performance pure avoir un bon classement vert (investir dans les EnR) ne semble pas très efficace !
Les sociétés pétrolières et gazières les moins performantes sont en effet souvent celles qui ont été les plus souvent citées aux premières places de la décarbonisation (Total, Shell, BP, Eni, Repsol, Equinor…)…
Le cœur du problème est sans doute que les deux investissement EnR et EnF (Energies Fossiles) sont diamétralement opposés : Les projets d’énergies renouvelables sont généralement à faible risque, à faible rendement et financés par emprunt. A contrario, les projets pétroliers et gaziers présentent un risque plus élevé (prospections hasardeuses, prix du pétrole, préoccupations géopolitiques, risque d’accidents, exposition aux devises, actifs échoués), un rendement plus élevé et une forte intensité de capital.
Ils sont donc évaluées de manière complètement différente et, assez logiquement, la plupart des investisseurs souhaitent investir dans des sociétés «pure play», car cela leur permet de mieux gérer leurs propres risques.
En particulier, les actionnaires des entreprises EnF accordent peu de valeur aux contributions des activités d’énergies renouvelables tant qu’elles ne seront pas suffisamment importantes pour servir de véritable couverture aux risques liés à l’investissement dans les énergies fossiles.
D’autre part, la montée en puissance de l’investissement ESG interdit à un nombre de plus en plus significatif d’investisseurs de prendre une exposition dans les producteurs d’EnF ce qui les exclut de l’accès aux entreprises d’énergies renouvelables en leur sein.
Le salut par la scission
Ne t*’évertue plus, les paupières ainsi baissées, à chercher t*on noble père dans la poussière.
T*u le sais, cela est assez commun : tout ce qui vit doit mourir, passant de l’état de nature à l’éternité.
Hamlet I, 2.
Le seul moyen pour ces entreprises d’accéder à du capital de croissance à faible coût, et même de capturer une prime de valorisation « Energies Vertes », pour accélérer l’expansion des énergies renouvelables tout en améliorant la valorisation de l’ensemble du groupe, me semble être de les coter séparement, quitte à re-fusionner lorsque le rapport de force aura été inversé, avec la trésorerie obtenue à partir des ultimes projets pétroliers et gaziers.
Un argument courant contre ce type d’opération est que cela empêche les entreprises de vendre des offres intégrées de gaz naturel et d’énergies renouvelables, mais les clients vont se détourner de plus en plus du gaz naturel pour les énergies renouvelables et l’hydrogène vert, plutôt que de rester sur une offre hybride.
On pourrait évoquer le cas, même si le modèle est assez différent, des entreprises nationales d’électricité qui ont tenté une séparation dans la première décennie du siècle comme Enel (2008, spin-off de Enel Green Power, racheté en 2016) ou Iberdrola (2007, spin-off de Iberdrola Renovables, racheté en 2011) et qui ont été suivie d’une fusion pour « faciliter les investissements » (en fait pour revaloriser la maison mère ?). A contrario pour le moment : EDP dont le spin-off (en 2010) EDP Renewables a suivi le cours de la maison mère pendant des années avant d’exploser depuis un an. Rachat à suivre ?
Un cas plus proche des majors pétrolières mais extrême est celui de Dong Energy, fondée en 1972 pour gérer les ressources pétrolières et gazières danoises de la mer du Nord. Celles-ci ont été vendues et le capital s’est concentré sur un seul secteur : l’éolien offshore. Aujourd’hui, il est connu sous le nom d’Orsted, dont on connaît la performance ces dernières années (+270 % en 5 ans dont un pic dans la bulle de début d’année à +450%) .
Le moment Espagnol
Si mon heure est venue, elle n’est pas à venir ; si elle n’est pas à venir, elle est venue : que ce soit à présent ou pour plus tard, soyons prêts, voilà tout.
Hamlet V, 2.
Mais peut-être le meilleur moment pour de tels spin-offs est-il déjà passé ?
Si l’on regarde le cas des IPO en Espagne :
Les actionnaires de l’Espagnol Acciona SA, développeur et gestionnaire d’infrastructures, ont approuvé le plan d’introduction en bourse de sa filiale d’énergies renouvelables Acciona Energia ( Corporacion Acciona Energias Renovables SL) d’ici la fin du mois de juin, malgré une image résolument pessimiste des récentes introductions en bourse des énergies renouvelables dans le pays, comme dans le monde suite à la bulle du début d’année.
Le 5 mai un autre producteur espagnol d’énergies renouvelables a suspendu son introduction en bourse en raison de la volatilité des cours des actions dans le secteur. La société, Opdenergy Holding SA, a déclaré dans un dossier de bourse du 5 mai qu’elle reportait une cotation, dans laquelle elle cherchait à lever environ 375 millions d’euros, en raison de "conditions de marché difficiles", en particulier pour les sociétés d’énergie renouvelable.
L’annonce d’Opdenergy est intervenue après que Grupo Ecoener SA, un autre producteur d’énergies renouvelables espagnol, a vu son cours baisser de 15% le premier jour de cotation le 4 mai (rétabli depuis).
En Espagne, des développeurs solaires purs comme Solarpack Corporacion Tecnologica SA et Solaria Energía y Medio Ambiente SA ont perdu environ 30% de leur valeur jusqu’à présent en 2021 dans le dégonflement de la bulle verte, tandis que des services publics diversifiés qui possèdent également des réseaux de réseau et d’autres entreprises, telles que Endesa SA, ont été plus stables et qu’Acciona, qui possède également une activité d’infrastructure plus large, a surperformé les deux segments, à +17%.
La cotation d’Acciona Energia devrait néanmoins être suivie d’autres introductions en bourse des EnR en Europe, alors que les grandes entreprises cherchent à capter un volume croissant d’investissements ESG et à capitaliser sur l’enthousiasme autour des objectifs climatiques dans de nombreux pays. Enthousiasme qui devrait se poursuivre, et dont on peut espérer la reprise de performance boursière (non bullesque) pour l’année à venir.
Pour en revenir aux pétrolières, le producteur espagnol de pétrole et de gaz Repsol SA envisage une cotation pour son activité à faible émission de carbone.
En Italie, le raffineur italien Saras envisage de scinder son activité EnR.
Le cas Eni
Les seconds mariages sont déterminés par de vils calculs d’intérêt, jamais par l’amour.
Hamlet, III, 2.
De son côté le conseil d’administration d’Eni SpA a récemment approuvé un plan de spin-off EnR pour 2022.
Et dans l’intervalle Eni, qui est le plus grand producteur étranger de pétrole et de gaz d’Afrique, souhaite céder ces opérations pétrolières et gazières pour créer des coentreprises (JV) afin de réduire la dette au niveau du groupe et se distancier du pétrole et du gaz (réduction de la production) tout en gardant le contrôle des actifs.
Cette décision fait partie d’une stratégie qui s’appuie sur la scission réussie d’Eni de sa filiale pétrolière et gazière norvégienne (Eni Norge) pour créer la JV Vår Energi (détenue à 70%) en 2018 avec la société d’investissements HitecVision (qui avait acquis le portefeuille norvégien d’ExxonMobil). Aujourd’hui, Vår Energi est le deuxième plus grand producteur de pétrole et de gaz de Norvège.
En ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest et le Moyen-Orient, Eni discute déjà de scénarios avec BP et Total quant à la manière dont certaines parties de leurs opérations pourraient être fusionnées, a rapporté Reuters. Les trois majors sont confrontées au problème commun de devoir débarrasser leurs bilans consolidés de la dette de 2020 pour lever de nouveaux financements pour des projets d’énergie renouvelable.
Pour sa part, BP a suivi une voie similaire à Eni lorsqu’elle a fusionné ses activités norvégiennes avec le producteur local Det Norske en 2016 pour créer Aker BP (bourse d’Oslo) dans laquelle elle détient une participation de 30%.
Ce type de restructurations devrait accélérer et pourrait conduire à l’apparition de nouvelles spin-off pétrolières locales améliorant la situation financière des majors… en faveurs des EnR ?
Les trois majors
Il est des coutumes qu’il est plus honorable d’enfreindre que de suivre.
Hamlet, I, 3.
Mais qu’en est-il de la cotation des activités EnR des trois majors européennes ? Vont-elles emboiter le pas de leurs consœurs plus petites ?
Shell Traine les pieds, ce qui a donné lieu à une salve de démission des responsables EnR de l’entreprise.
Total a évoqué un éventuel spin-off de Total Eren en septembre, mais continue en même temps à l’exclure pour les cinq prochaines années, arguant qu’une telle démarche serait“ très prématurée ”et qu’elle se concentre pour l’instant sur le développement de l’activité.
BP n’en parle pas.
Et pourtant une étude d’HSBC estime que leurs divisions à faible émission de carbone (qui ne représentent actuellement en moyenne que 4% de leurs bénéfices avant impôt) pourraient multiplier leurs valorisations d’un facteur 5 à 6 par une IPO !
… comme un homme obligé à deux devoirs, je m’arrête ne sachant par lequel commencer, et je les néglige tous deux.
Hamlet III, 3.
En fait, les trois ont encore le pied sur le frein, notamment parce qu’elles voudraient encore le beurre et l’argent du beurre…
Les spin-offs auraient probablement peu d’impact positif sur le cours de l’action de la société mère - et pourraient en fait s’opposer à l’atteinte de leurs objectifs propres de décarbonation.
Mais tant que, comme les classements le montrent, la très grande majorité de leurs investissements sont encore à destination des EnF, il n’y a aucune chance qu’elles obtiennent des financement ESG, quel que soit leur façon de faire mousser ces investissements dans les annonces… Or leur mix énergétique ne deviendra favorable que si les investissements dans les EnR augmentent d’un ordre de grandeur, ce qu’elles ne peuvent réaliser sans faire appel aux investisseurs ESG.
Quand à la pseudo perte potentielle de synergies opérationnelles avec la société mère que certaines évoquent, l’opposition à tous niveaux entre investissements EnR et EnF la rend peu pertinente…
Eh oui, monsieur, mais «le temps que l’herbe pousse»… C’est un vieux proverbe un peu moisi.
Hamlet, III, 2.
Le problème est qu’en jouant la montre de cette façon, la capacité d’exploitation renouvelable nette actuelle des six majors pétrolières européennes s’élève à 8-9 GW et pourrait d’après leurs annonces atteindre 55 GW d’ici 2025….
Cela reste faible par rapport aux principaux énergéticiens européens par exemple Iberdrola vise 60 GW d’ici 2050 contre 32 GW en 2019, tandis qu’Enel vise plus de 80 GW de capacité d’énergies renouvelables en 2025, contre 45 GW actuellement (et si EDF réussit sa restructuration avec un spin-off vert, il pourrait revenir fortement dans la course).
Les majors pétrolières vont donc perdre la course contre les énergéticiens.
Et nous faire perdre du temps face à l’urgence climatique…
Dernière modification par CroissanceVerte (11/05/2021 04h23)