#1 12/09/2014 12h34
- sergio8000
- Invité
Bonjour,
Comme la discussion sur Awilco (Awilco Drilling : forage à très haut rendement ?) a abordé cette entreprise, je partage mes recherches sur celle-ci. Ma dernière mise à jour date de mai et ce sont ces données là qui sont prises pour l’analyse présentée ici.
I – Introduction
Transocean est une compagnie qui loue et opère des plateformes pour des compagnies pétrolières. La plupart des majors sont clients de Transocean : Chevron, BP, Shell en particulier.
L’activité, simple en apparence, consiste à faire construire des plateformes, recruter et former des équipes spécialisées dans leur opération. De cette manière, la compagnie de forage permet de réduire les coûts RH récurrents pour les compagnies pétrolières et porte le risque d’inactivité des plateformes et des équipes à la place de ses clients. La proposition de valeur est attrayante, ce qui justifie que les majors possèdent de moins en moins de plateformes et d’équipes de forage en propre. Les activités matières premières étant cycliques par nature, réduire les dépenses lorsqu’il n’est pas intéressant d’explorer devient alors plus facile.
Automatiquement, cette cyclicité est transférée vers les compagnies de forage, qui souffrent beaucoup en cas de baisse des dépenses d’exploration de leurs clients, et connaissent des périodes fastes en cas de pic de demande.
Il est communément admis que l’offre et la demande sont généralement corrélées aux prix du pétrole. Sans être expert du sujet, je dirais qu’en réalité, c’est sans doute un peu plus subtil : l’offre et la demande sont plutôt corrélées aux anticipations sur l’offre et la demande (donc les prix) de pétrole par les clients, ce qui rend la cyclicité plus difficile à prévoir encore que pour les clients.
II – Flotte
La flotte au 18 février 2014 était composée de :
- 46 High-Specification Floaters (Ultra-Deepwater – plus de 7500 pieds de profondeur allant jusqu’à 40 000 pieds, Deepwater – entre 4500 et 7500 pieds, Harsh Environment semisubmersibles – entre 1500 et 10000 pieds avec des capacités de déplacement accrues)
- 22 Midwater Floaters (moins de 4500 pieds)
- 11 High-Specification Jackups (entre 350 et 400 pieds)
J’ai préféré laisser les termes en anglais histoire d’éviter des traductions ridicules.
On a donc 79 équipements, dont 46 plateformes adaptées au forage en eaux profondes en milieu hostile, 33 plateformes pour le forage en eaux de profondeur moyenne et 11 plateformes auto élévatrices pour les eaux peu profondes.
C’est la flotte la plus importante au monde, mais celle d’ENSCO, par exemple, est plus récente.
En mai, Transocean a en construction :
- 7 Ultra-Deepwater drillships : dont 2 seront terminés en 2014 et sont déjà sous contrat. Les autres seront terminés en 2016 et 2017 (l’un des équipements de 2016 est déjà sous contrat).
- 5 High-Specification Jackups : prévus pour 2016-2017, aucun n’est sous contrat mais les clients commencent à témoigner un intérêt pour ces équipements d’après le management.
En ordre de grandeur, 6 milliards par an sont actuellement nécessaires pour opérer et maintenir cette flotte. On peut s’attendre à ce que cette dépense baisse (programme de réduction de coûts en cours).
Le business est extrêmement intensif en capital, et c’est la principale barrière à l’entrée de l’activité. En plus de l’opex, le capex requis pour les 12 nouvelles constructions a été de 2,637 milliards en 2013. Il est prévu que ce capex sera de :
- 1,633 milliards en 2014
- 1,220 milliards en 2015
- 2 milliards en 2016
- 1 milliard en 2017
- 478 M en 2018
La normale semble être autour de 1,5 milliards par an pour les constructions. Attention, ce n’est pas un capex de croissance (ni de maintenance) : une partie des constructions servira probablement à renouveler la flotte alors qu’une autre partie ira à la croissance.
III – Historique des opérations
Le FCF moyen sur la période 2008 à 2014 est de 2,091 milliards de dollars avec mon estimé de capex de maintenance (qui serait assez long à détailler). Le FCF « brut » (totalité du capex prise comme capex de maintenance) est quand à lui de 1,43 milliards.
Avant 2008, Transocean était une société en forte croissance et l’étude n’a que peu d’intérêt.
Le bilan de la société est solide et les dettes long terme ainsi que les passifs diminuent depuis 2013, période où le management a commencé une restructuration. La dette représente 62% de l’equity. C’est très raisonnable, dans la mesure où la dette de ce type de business est généralement remboursable en revendant simplement les plateformes. Pour info, lorsque Transocean vend quelques plateformes, on les voit enregistrer des gains de manière récurrente.
Les dettes sont relativement espacées dans le temps et la société a des liquidités via son cash de 3,2 milliards et ses lignes de crédit non utilisées (2 milliards dans le cadre d’un crédit revolver qui expire en 2016 et 900 millions dans le cadre d’un autre crédit revolver qui expire en octobre 2015).
Il n’y aura a priori pas de problèmes d’échéances jusqu’à fin 2017 si la société arrive à conserver sa génération de cash historique. Si les cash-flows futurs restent décents, Transocean pourra refinancer (pas mal de dettes étant obligataires).
IV – Perspectives de l’activité
A fin 2013, le carnet de commandes s’élève à 28,2 milliards, en baisse de 4,1 % par rapport à 2012 et en hausse de 34,9% par rapport à 2011. L’état des prises de commandes ne semble pas particulièrement inquiétant au premier abord. De plus, il y a moins de maintenance prévue en 2015 (prévision out of service days 1306 VS 1845 en 2014). Cela dit, il est prévu que les choses se corsent considérablement dès 2015.
Pour le forage en eaux profondes, le management attend un ralentissement dans l’exécution des contrats de forage dans un futur proche, ainsi que des pressions au niveau des prix. Il y a visiblement de l’offre en excès sur la demande : Au 18 février 2014, seules 23 plateformes parmi les 46 de la société sont sous contrat jusqu’à fin 2014. Les clients préfèrent actuellement forer en eaux peu profondes, et c’est sans doute ce qui explique que Transocean développe davantage son offre Jackup (plateformes auto élévatrices) dernièrement. A titre informatif, il y a eu plus de 50% de hausse des tarifs journaliers sur les jackups en 2011, mais ils restent de loin la solution « cheap » avec un tarif journalier actuel d’un peu plus de 160 000 $ en 2013, alors qu’une plateforme ultra – deepwater a un tarif supérieur à 500 000 $ par jour (les deepwaters sont à plus de 350 000 par jour, les high specs / harsh environnements floaters à 450 000 – 460 000 par jour, les midwaters à 310 000 par jour).
Donc, la visibilité pour 2015 est faible, et plus encore au-delà : les équipements sont actuellement planifiés pour une utilisation à mi temps en 2015 pour le moment et moins au-delà. Il y 42 renouvellements de contrats prévus en 2014. Les tarifs journaliers ont pas mal progressé depuis 2011, mais l’avenir est incertain car il y a plus d’offre que de demande : l’industrie a construit pas mal de nouvelles plateformes pour essayer de se positionner à des tarifs avantageux… Mais les clients ont réduit la demande.
On peut donc s’attendre désormais à ce que les prix pratiqués se normalisent. Au conf-call du jeudi 8 mai, on a appris que les appels d’offres sont peu nombreux et longs à arriver. La situation sur le créneau deepwater est tendue : les clients cherchent à occuper les plateformes qu’ils ont en propre et ont beaucoup d’offre via les nouvelles constructions dans le secteur. Ils sont en position favorable pour négocier une baisse des tarifs. D’ailleurs, on constate déjà que les tarifs pour les nouveaux contrats accordés ont baissé entre 375 000 $ et 500 000 $ par jour sur le créneau Ultra Deepwater, où Transocean réalisait un tarif moyen supérieur à 500 000 $ par jour. Aussi, Transocean anticipe une baisse continue de ces tarifs. Ils comptent la compenser en envoyant des plateformes avec des spécifications plus anciennes, dont la maintenance opérationnelle est moins chère : cela leur permettra de répondre à des appels d’offre en proposant des tarifs plus bas aux clients tout en diminuant l’impact négatif sur leurs marges par plateforme en activité. Les anciennes plateformes peuvent parfaitement faire le boulot sur la majorité des projets.
En résumé, on est dans un contexte deepwater où les clients préfèrent différer la demande et où il y a trop d’offre, donc attendre une réduction des tarifs de 10 à 15% dans l’année qui vient semble adéquat. Une baisse de 10% des tarifs de Transocean sur une année complète impacterait le résultat pré-taxes de 950 millions environ à activité constante. Cet impact peut aller jusqu’à 1,5 milliards pré-taxes si l’on se fie à l’historique du cycle récent (creux de demande en 2008 – 2009 avec impact en 2010 sur le CA, le temps que les tarifs et baisses d’activités entrent en vigueur).
Au niveau des jackups cependant, la situation est bien meilleure : la dynamique de marché reste favorable.
Considérant ces points, on peut se dire que la réduction de coûts couvrira en grande partie l’impact sur les résultats 2015, et que Transocean pourra faire face à la conjoncture grâce à son bilan et l’optimisation de son portefeuille. Il n’est cependant pas évident que le dividende pourra être maintenu.
Plus près de nous, pour 2014, le management attend des ventes supérieures à celles de 2013, grâce notamment aux deux nouvelles plateformes de forage Ultra-Deepwater qui seront mises en service cette année (elles sont toutes deux déjà sous contrat) et aux trois Jackups qui ont été mises en service en 2013. Egalement, les activités de maintenance sur les plateformes en activité sont prévues en baisse par rapport à 2013.
Ils s’attendent aussi à une baisse des coûts sur 2014, soit, très clairement, une expansion des marges. Ils profiteront de cette année faste pour assainir leur bilan.
La société veut arriver à une réduction annuelle de 800 millions par sa restructuration.
V – L’allocation de capital est historiquement mauvaise, mais Carl Icahn a décidé de s’en mêler…
Que dire d’une compagnie qui rachète 45 771 actions au prix moyen de 50,92 $ en 2013,
2 863 267 actions pour 240 millions depuis 2009 et qui émet pour 1,2 milliards d’actions en 2011 à 40,5 $ ?!
Cependant, Carl Icahn a pris une participation significative en 2013. Depuis, la compagnie est plutôt dans une dynamique de restructuration et vente d’actifs. De plus, un dividende de 3$ par action (pour un cours d’un peu plus de 40 $) proposé au vote de l’AG ce mois-ci à la suite d’une proposition d’Icahn. Autant d’argent que la compagnie ne pourra plus gaspiller.
VI – Valorisation
a) Prix sur le marché :
Prix d’une action : 42,65 $
Nb d’actions ~ 360 M (millions)
Capitalisation boursière ~ 15,35 B (milliards)
Dette financière nette : 7,36 B
Obligations de retraite retraitées : 760 M
Valeur d’entreprise ~ 23,47 B
b) Approche valeur de reconstruction des plateformes
Nous savons précisément quelles plateformes composent la flotte de Transocean et on sait que les plateformes en constructions couteront au total 8,968 milliards.
D’après les données de RigLogix, des jackup capable de forer entre 350 et 400 pieds coûte entre 164 et 270 millions à construire. Ceux de Transocean sont récents. Si nous retenons 200 millions par jackup, nous estimerons les 11 jackups de Transocean à 2,2 milliards.
A noter que les jackups en construction ont été commandés pour un total de 1,2 milliards, soit 240 millions par unité. Notre estimé n’est donc pas délirant.
J’ai retrouvé dans l’Oil & Gas Journal que les plateformes midwater GSF de Transocean (qui a fusionné avec Global Santa Fe depuis) ont coûté 285 millions à la construction en 2004. Pour tenir compte de leur usure estimée à 1/3 de leur cycle de vie, je propose de retenir un estimé de 190 millions par plateforme. Ainsi, les 22 midwater floaters vaudraient 4, 18 milliards.
D’après les données de Bailey & Sullivan de 2011, pour les plateformes semi-submersibles Deepwater et Ultra Deepwater, on trouve divers modèles allant de 460 millions à 770 millions, alors que les drillships vont de 550 à 1,2 milliard. Certaines plateformes de Transocean sont assez neuves, d’autres très usagées. Je vous proposerai de retenir un prix de 400 millions par plateforme pour tenir compte de l’usure globale de la flotte. Toute plateforme Deepwater vaut normalement bien plus que cela. Ainsi les 46 plateformes de Transocean vaudraient 18,4 milliards.
- En sommant tout cela, on obtient environ 33,75 milliards.
- Ajoutons le cash et les créances à 100% (les payeurs sont des majors pétroliers) : 5,35 milliards
- Soustrayons les passifs totaux : 15,9 milliards
On arrive alors à un estimé de 23,2 milliards pour la reconstruction des plateformes. Cela se compare favorablement à la capitalisation boursière de 15,35 milliards.
L’upside à la valeur de reconstruction est de 51,14 %.
c) Valeur de la capacité bénéficiaire
Vu la cyclicité du business, il est assez difficile de donner une capacité bénéficiaire moyenne. De plus, il est difficile de déterminer la part capex de maintenance et capex de croissance. En supposant un capex de maintenance normalisé conservateur de 1,1 milliards, soit 1 à 2 plateformes deepwater par an (selon le modèle) pour renouveler une flotte de 50, on aurait alors un cash-flow libre de :
- 3,6 milliards en 2008
- 4,5 milliards en 2009
- 2,8 milliards en 2010
- 725 millions en 2011 (mais arrêt total des forages dans le Golfe du Mexique)
- 1,6 milliards en 2012 (2,35 milliards hors impact Deepwater Horizon)
- 800 millions en 2013 (1,36 milliards hors impact Deepwater Horizon)
Disons que le multiple de FCF haut de cycle (autour de 4 milliards) serait autour de 6 en termes d’EV alors qu’on serait à 17-20 en bas de cycle. Le multiple moyen serait d’un FCF de 2,4 milliards serait alors de moins de 10. Cela paraît assez raisonnable, sans être une sous-valorisation démentielle. Si Transocean arrive à faire une croissance lente de son FCF moyen à l’avenir en accroissant son nombre de plateformes, cette croissance là sera a priori gratuite.
Sachant que la compagnie compte réduire ses coûts de 800 millions, elle a des chances de se réaliser.
Le meilleur moyen de débloquer la valeur serait sans doute un mix entre monnayer les plateformes les moins performantes et développer le business avec les plus rentables. Il y a sans doute une optimisation du portefeuille à faire pour ce business qui cote significativement sous la valeur de remplacement de ses actifs.
VII – Catalyseurs
- Meilleure allocation du capital
- Réduction de coûts
- Optimisation du portefeuille (ventes de plateformes « non core » avec réalisation de plus-values)
- Formation d’un MLP
- Eventuel spin-off de plateformes plus anciennes / moins performantes (la question a été abordée par le management)
VIII – Risques principaux
- Une détérioration durable des tarifs liés à une surcapacité de l’industrie (beaucoup de nouvelles constructions ont été récemment commandées). Cela pourrait empêcher l’entreprise d’atteindre son potentiel d’upside de manière durable.
- A court terme, la conjoncture semble défavorable.
- Coupure du dividende.
- Possibles pénalités supplémentaires liées à la catastrophe Deepwater Horizon dans le Golfe du Mexique.
- De nouvelles catastrophes comme Deepwater Horizon peuvent détériorer durablement la valeur d’entreprise. Toutefois, la sécurité des plateformes tend à s’améliorer avec le temps et l’expérience.
IX – Conclusion
Transocean apparaît assez modestement valorisée par rapport à la valeur de reconstruction de ses actifs, mais ne bénéficie pas non plus d’une sous-valorisation démentielle. Elle est à un multiple raisonnable de son FCF moyen - mais rien d’extraordinaire non plus.
Toutefois, il n’est pas évident de savoir si la société va coter rapidement ou non à sa valeur de reconstruction car les perspectives sont assez mauvaises sur le créneau deeptwater auquel Transocean est fortement exposée.
L’investissement peut convenir à un investisseur patient, capable d’affronter un cycle défavorable. Je pense être patient, mais le degré de sous-valorisation ne me convient pas. j’étais beaucoup plus chaleureux vis-à-vis d’Awilco (Awilco Drilling : forage à très haut rendement ?), même si j’ai privilégié d’autres opportunités.
Mots-clés : transocean